BLOWER SOUL

Chapitre 34 - Joli crayon

Jaya

Les doigts encrés de Matt sont froids sur mon épiderme malgré les gants en caoutchouc. Il tâtonne, cherchant une veine. Il est le seul à pouvoir me faire mes prises de sang hebdomadaires. Encore un de mes petits caprices ? Oui et non. Je supporte juste difficilement que l'on pose les mains sur moi. Que mon corps devienne leur objet, qu'ils puissent me manipuler à leur guise. Donc, ouais... un caprice.

Matt pique et je fais le vide dans mon esprit en fixant cet or rouge qui s'écoule dans le tube. Des saignées qui m'aideraient à épurer mon âme et mon corps... mais non. C'est leur manière de me contrôler, encore et encore.

- J'étais à combien la semaine dernière ? je lui demande.

- Ta TSH est magnifiquement basse.

- Mes T3 et T4 ?

- Ce n'est pas une hyperthyroïdie à ces taux-là, mais une méga-nova-ultra-thyroïdie.

C'est bon, il ne me donnera pas de chiffres. Autant changer de sujet.

- Et le nouveau ? C'est quoi ses taux ?

Cinq jours que les paroles de Matt me poursuivent. Je suis pressé de rencontrer ce prodigieux. Comme s'il pouvait m'en apprendre plus sur Saori. Il lui ressemble tellement. Je pourrai connaître des éléments sur son don, sur ses différences avec nous et aider Saori lorsque je la retrouverai. J'imagine ses yeux gris se voiler en de l'acier dur et inoxydable. Si elle te pardonne un jour, mec.

- Ce gars a un taux quasi indétectable. T'y crois ?

Matt sourit en hochant la tête, comme s'il n'y croyait pas lui-même. Il remballe son matériel et pose une compresse pliée en quatre au creux de mon bras. Je remplace ses doigts par les miens et la maintiens en place.

- Comment est-ce possible ?

- Qu'est-ce j'en sais ! À croire qu'au pays de la bizarrerie génétique, il existe des bizarreries encore plus grosses.

Il ouvre la poubelle en actionnant la pédale avec son pied et y jette ce qui traîne sur sa table de travail. Je me relève du plan d'examen et refuse le pansement qu'il me tend.

- D'accord ! dit-il en riant.

Ce con me connaît trop bien et ça m'agace. Il voit bien que je suis à cran.

- Quand va-t-il nous rejoindre au foyer et en cours ? je lui demande.

Matt me mate les bras croisés, adossé à sa table de soin. Il plisse les yeux tentant de comprendre mon intérêt soudain pour cet inconnu.

- Pourquoi je répondrai à tes questions, alors que tu me snobes depuis ton retour ?

Quel enfoiré, celui-là.

- T'es sérieux ? Tu vas faire une crise parce que je refuse de te donner des infos sur New York ? Tu sais que ton insistance commence à devenir louche.

Matt penche la tête sur le côté, pensif et nullement impressionné par mon accusation.

- Tout autant que tes questions sur le petit japonais.

Je glisse les mains dans mes poches pour dissimuler leurs tremblements et me mets à sourire à mon tour. Nous sommes ridicules tous les deux.

- T'as conscience que c'est toi l'adulte dans cette pièce, Matt ?

- Connerie ! Dans ma tête j'ai 15 ans et tu le sais bien.

J'attends qu'il mette fin à la discussion, et ce quelle que soit la manière. Qu'il gueule. Qu'il me prive de ma dose quotidienne de Weed. Qu'il me foute son poing dans la gueule, peu importe, merde ! Mais pas qu'il reste adossé comme un con à ses éprouvettes de sang, de pipi et autres merdes qu'il a collectées depuis ce matin.