BLOWER SOUL

Chapitre 14 - Ce qui est découvert ne saurait être oublié

Les journées filèrent, mais se ressemblèrent. Les flocons laissèrent place aux bourgeons et la vie se réveilla. Tout comme moi.

Les entraînements de danse en compagnie de Marla, qui est impatiente et exigeante. Nos déjeuners composés désormais de ce trio improbable, où ma place n'est pas clairement définie. L'intolérance de Marla demeure et Jaya, de son côté, persiste. Il m'arrive parfois d'observer le chignon de la grande blonde frémir sous l'humour particulier du chuchoteur. Frémissements qu'elle réprime immédiatement. Bien évidemment.

Malgré cela, Jaya fait sa place, petit à petit. Lentement. Il continue d'égrainer les jours restants avant la fin de notre pari. C'est devenu comme un rituel qui ne me déplaît pas, je l'avoue. Et puis, il y a ces effleurements innocents qui fragilisent mon déni. Ces confidences sur notre pouvoir, scellant un peu plus chaque jour ce lien unique que nous partageons. Je me complais dans cette routine agréable. Savourant d'être une étrangère ayant trouvé son étranger.

- Même quand tu te caches, j'arrive encore à te trouver.

Je ne suis pas étonnée de voir Jaya se tenir à côté de ma petite table de travail au sein de la bibliothèque du lycée. Effectivement, j'étais plutôt bien dissimulée entre les rayonnages de livres dédiés aux légendes grecques et latines.

- Pourquoi veux-tu que je me cache de toi, alors que de l'avis de chacun nous sommes devenus inséparables ?

- Parce que tu redoutes le grand jour.

- Que peut-il bien m'arriver que tu ne m'aies pas déjà fait ?

Je positionne l'index sur mon menton, mimant une profonde réflexion.

- Tu pourrais m'inviter à dîner et te comporter comme un affamé n'ayant aucune éducation ? Déjà fait. Ou alors nous promener dans New York et tu me questionnerais sur ma vie sexuelle ?

Je le vois souffler d'humeur, tout en croisant les bras sur son torse.

- Attends ! Attends ! Ou tu pourrais m'emmener dans une infirmerie et me dire : « Pourquoi ne me demandes-tu pas de retirer mes mains ? » je mime d'une grosse voix. Mince, déjà fait aussi !

- Il est évident qu'à partir du moment où tu as décidé que ce rendez-vous n'aurait pas d'importance, je vais devoir être particulièrement innovant.

Oups...

Je crois que j'aurais mieux fait de me taire.

- Mais je ne te parlais pas de ce grand jour-là, reprend-il, tout en subtilisant une chaise à la table voisine.

Il la dépose à l'envers à côté de moi et s'y assoit à califourchon, les bras croisés sur le dossier.

Mes yeux papillonnent, éblouis. Par le changement de sujet ? Oui. Sûrement pas par sa proximité qui me rappelle combien son corps est athlétique, que chacun de ses mouvements sont d'une coolitude absolue et que son visage entier est en train de rayonner comme s'il me prenait sur le fait de vouloir le dévorer tout nu.

Tout cru, tout cru !

- Hum... donc tu veux parler de notre danse avec Marla.

- Exact. J'ai réussi à négocier qu'elle me laisse faire le DJ pour vous demain soir.

- Toi, avoir demandé quelque chose à Marla et Marla avoir dit oui ? Je ne te crois pas.

- Bon, il se peut que j'aie peut-être fait un peu le moulinet avec mes bras pour que mes ondes passives l'atteignent plus facilement.

Il fait tourner son bras plusieurs fois au-dessus de sa tête pour illustrer son propos. À l'instant, il ressemble à un lanceur de poids des Jeux Olympiques. Ou à un demeuré... j'hésite. Mais peu importe, car je tiens enfin de quoi le coincer.