— Purée, c'est vraiment horrible, déclare Marla, d'un ton extrêmement grave.
Nous sommes lundi midi et nous déjeunons sur une table de piquenique du parc du lycée. Il fait grand soleil, si bien que nous ne sentons pas la morsure du froid. C'est une autre brulûre que nous éprouvons, celle de nos cœurs qui se fissurent devant les vidéos de la fusillade dans une école du Texas. Une école primaire, bon sang...
Marla a été se chercher des frites au self et moi j'ai apporté des croquettes de poisson et des aubergines grillées de la maison. Nous picorons plus que nous ne mangeons réellement. Les images sont tout simplement insoutenables. Nous regardons une chaîne d'info en continu sur mon portable et je sais que ce n'est pas très malin de scruter en boucle ces images qui ne quitteront plus mon esprit durant des jours.
Notre conversation autour de la fusillade est ponctuée par les allées et venues de mes camarades du lycée. C'est toujours comme cela les jours qui suivent l'une de nos prestations. Un déluge de demandes d'autographe s'abat sur moi. Au départ, Marla jouait les gardes du corps, mais j'ai vite compris qu'accepter ces sollicitations constituait la meilleure façon de les faire cesser plus rapidement. Et puis, pourquoi rejeter la faute sur ces jeunes qui m'adresseraient surement à peine un regard si je n'avais pas ce don passif ? Ce sont eux les victimes, pas moi.
Fourchette dans une main et stylo dans l'autre, je continue d'observer totalement sidérée les images de vidéo surveillance et des familles en pleurs de ces dix-neuf enfants assassinés. C'est dans des moments comme celui-ci où je me dis que mon don peut être précieux, qu'il pourrait servir une cause. Mais je n'ai pas encore la capacité de voler et encore moins de me téléporter sur des lieux de fusillades ou de prise d'otages.
— Saori, tu me signes un autographe, s'il te plait ?
Une jolie rousse me présente une feuille blanche pliée en quatre, que je m'empresse de gribouiller.
— Oui, bien sûr, tiens...
Mes capacités pourraient être plus utiles qu'à me trémousser en collants flashy et signer des autographes sur des bouts de papier que l'on me tend.
— Comment de telles horreurs peuvent-elles arriver, je me désole à mon tour, dès la jolie rousse partie.
— Tu crois que c'est un acte raciste ? me demande Marla, les yeux toujours rivés au portable.
— Il est vrai que l'école était en majorité fréquentée par des élèves d'origine hispanique. Mais le tueur avait 18 ans, il était tellement jeune. Je ne sais pas... Je me dis qu'il n'est peut-être pas toujours nécessaire de trouver une justification à tout. Seul ce garçon connaissait les démons qui le hantaient.
— J'aimerais tant que Biden arrête de discourir et prenne enfin les choses en main sur la question de la règlementation des armes, je reprends.
— Saori ? me sollicite un garçon blond au petit nez rond, me présentant un bout de papier déchiré et d'une blancheur douteuse.
— Il ne le fera jamais, se moque gentiment Marla, tandis que je finis de griffonner et de remercier le garçon.
— Tu n'as même pas un petit espoir ?
— Je pense surtout qu'il n'a pas envie de se mettre à dos tous ces fous furieux de la gâchette. Un président criblé de balles, ça ferait mauvais genre.
J'avoue qu'elles me font peur également toutes ces personnes qui prônent le second amendement. Elles n'ont pas conscience que nous sommes déjà arrivés au stade de la justice rendue en pleine rue comme à l'époque des westerns. Malgré le contexte, Marla arrive à me faire sourire avec sa petite blague sur notre président, dont je crains effectivement de ne jamais entrapercevoir un quelconque courage vis-à-vis des lobbyistes pro armes de notre pays.
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BLOWER SOUL
RomanceJe suis Saori, j'ai 17 ans, je suis new-yorkaise, star de la danse sur Tiktok et... je vous manipulerai pour assouvir tous mes désirs. Je saurai vous rendre accro et docile, comme vous faire pleurer tel un bébé arraché trop tôt au sein de sa mère. ...