BLOWER SOUL

Chapitre 38 - On compte les points ?

Jaya

Je me retrouve comme un con. Tout seul. À cette table. Je n'ai pu m'empêcher de la suivre des yeux jusqu'à la porte, alors qu'elle s'en allait avec son plateau. Elle m'a retourné le cerveau. Carrément. Ce matin encore, je me disais que je pouvais gérer une Sao en colère. Mais ça ? Comment peut-elle switcher comme elle le fait entre colère, vulnérabilité et intensité ?

Putain !

Je sens la poigne de Matt sur mon épaule, mais il ne s'attarde pas. Les filles au loin s'approchent et il préfère me laisser seul avec elles. Loveleen s'est montrée particulièrement effacée depuis l'arrivée de Saori et j'ai besoin d'elle. De sa franchise désarmante, mêlée à son regard différent qu'elle porte sur le monde. Et pour une fois, la présence de Melody me dérange. Telle une démangeaison qui me donnerait envie de m'arracher la peau. Je suis injuste envers elle. Je n'ai pas été honnête avec elle.

- Mais c'est qui cette fille ? demande Melody agacée, alors que son postérieur n'est pas encore posé sur la chaise en face de moi.

Je ne la regarde pas, hésitant sur la réponse à lui apporter. Loveleen ne pose pas de question, elle, mais ses yeux me supplient d'être courageux. « Sexe faible ». C'est comme si j'entendais sa voix s'exprimer dans ma tête, c'est horrible.

D'accord, petite sœur. J'espère que tu as raison et que je ne le regretterai pas.

- Saori et moi, nous nous sommes rencontrés à New York. Elle était... ma petite-amie.

Loveleen hoche la tête, une fois. Un mouvement bref et affirmatif. Comme si elle l'avait toujours su et qu'elle me félicitait : « Ça y est, tu l'as dit, c'est bien. » Un soulagement m'étreint, jusqu'à ce que je rencontre l'expression choquée de Melody.

Merde...

J'ai une envie furieuse de fuir son regard qui me sonde. Ses lèvres entrouvertes sont figées, alors que ses prunelles sont prises de mouvements saccadés. Elle cherche sur moi un signe qui pourrait lui laisser penser que je plaisante. Mais non, malheureusement.

Je dois le faire.

- Je suis désolé, Mel.

Je prends sa main dans la mienne, qu'elle retire aussitôt. Son expression choquée se transforme progressivement en une grimace blessée. Deux larmes dévalent ses joues. Des larmes épaisses, aussi denses que les sentiments qu'elle nourrit pour moi depuis deux ans. C'est à ce moment précis que je comprends l'erreur que j'ai commise. Je n'ai jamais esquissé le moindre rapprochement envers elle, mais je l'ai laissé espérer. J'ai entretenu son espoir par mon comportement. Est-ce que cela me rassurait de savoir qu'une nana aussi belle pouvait me désirer ?

- J'aurais dû être plus clair avec toi depuis...

- Tu es revenu de New York, comme si de rien n'était, me coupe-t-elle la parole.

- C'est vrai. J'aurais dû vous parler d'elle. Vous dire ce qui m'était arrivé là-bas. J'allais le faire...

- Et tu oses prétendre que nous sommes tes amis ? m'accuse-t-elle.

Je la regarde, choqué à mon tour. Ses mots sont durs et violents. Ils sont les seuls amis que j'ai eu dans ma vie. Elle ne peut pas ignorer la douleur qu'elle me provoque à l'instant. Et je l'ai méritée. Perturbé par la menace voilée qu'elle sous-entend, je ne trouve pas les mots pour lui répondre. Je tente de me ré-emparer de sa main, mais elle recule brusquement, faisant grincer sur le sol les pieds de sa chaise. Et elle s'en va. Je baisse la tête, ne supportant pas de voir une seconde personne me fuir aujourd'hui. Je passe mes paumes sur mes yeux, puis mon front, comme si ça pouvait me réveiller de ce cauchemar.