Chapitre 18 - «You should know that. I like the way you move»

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Mes pieds foulent les dalles en béton ciré de notre future scène et mes tympans émettent un sifflement aigu, agressés par la clameur du public. En quelques secondes, ma confiance retrouvée un peu plus tôt s'évanouit à nouveau. La foule ondule, tel un anaconda prêt à me dévorer. Marla est devant moi à quelques pas et Jaya certainement derrière. Instinctivement je tends la main et la paume de mon chuchoteur se glisse dans la mienne. Chaude et protectrice.

Je continue d'avancer, dans le sillage de Marla qui fend la foule, comme Moïse la mer rouge. Des agents de sécurité apparaissent pour contenir les spectateurs et les repousser contre les parois en verre, délimitant le toit du vide. Philippa, debout devant le public, n'en finit plus de crier et de sautiller sur place. Elle est encadrée par deux gorilles, arborant un air de ceux qui maîtrisent la situation.

J'espère... je ne souhaite pas finir la soirée aplatie cinq cents mètres plus bas.

Jaya s'arrête et je l'observe me faire un baise-main, qui me provoque des décharges électriques en tous sens. Il doit rejoindre son poste derrière les platines et tables de mixage, situé sur ma droite. Je dois donc effectuer les derniers mètres me permettant de rejoindre Marla, seule. Je gonfle mes poumons d'air et mon sourire lui donne le signal qu'il peut me laisser.

Je me tourne vers Marla qui est déjà en place, devant cette chaise qui symbolise un être irrésistible et désiré. La chaise disposée au milieu du toit-terrasse constitue également notre axe de symétrie, autour duquel nous allons évoluer. Ni Marla ni moi n'allons la franchir. Un mur invisible est censé nous séparer. Ainsi, tout comme Marla, je me positionne devant la chaise, mais je me décale pour éviter un face-à-face avec mon amie. Je dois l'ignorer, elle n'existe pas.

J'ai aperçu les croix blanches faites au scotch sur les dalles, qui nous aideront à nous repérer lors de nos figures. Marla est venue ici quelques jours plus tôt pour découvrir les lieux et préparer certains éléments scéniques. Elle n'a omis aucun détail.

Je m'efforce de ne pas la regarder, me concentrant sur l'arrivée des premières notes de musique. Pour autant, je perçois sa posture fière et essoufflée par l'émotion du moment. L'instant est intense pour elle aussi.

Ça y est, les premières paroles de My Pony par R3hab hurlent dans les baffles situés en hauteur aux quatre coins de la terrasse. Même si je n'aurais pas choisi une chanson si provocante pour notre danse, je reconnais que la voix du chanteur est sensuelle, provoquant une addiction sur mes sens au fil des semaines où nous avons répété notre chorégraphie.

Marla penche la tête à droite et je fais de même. Elle pose la main gauche sur ce mur invisible et je l'imite dans un timing identique et précis. Nos gestes semblent s'opposer, alors qu'ils sont semblables, reproduits au même instant et toujours en parfaite symétrie l'une de l'autre.

La chorégraphie imaginée par Marla ne comporte pas de figures complexes. L'essentiel de l'exercice résidant dans notre capacité à être parfaitement coordonnées et toujours positionnées à égale distance l'une de l'autre de la chaise.

Sans avoir changé de place, nous bougeons nos mains, nos têtes, tels des mimes. Puis la chaise attire notre regard, attise notre intérêt. Nous la caressons chacune de notre côté du mur imaginaire. Nous la cajolons, effectuons les cent pas devant ce qui devient l'objet de notre désir. Puis le tempo s'accélère et nous nous écartons de la chaise pour danser, pour la séduire. Nos gestes sont lents, tout en ondulations et touchés langoureux.

Lorsque la voix du chanteur disparaît et que la musique électronique prend le relais, nous nous élançons chacune de notre côté dans une série de pirouettes à travers la terrasse. Nos directions, notre vitesse, tout est calculé, rien n'est laissé au hasard. Et les croix au sol nous aident à nous repérer alors que le vertige nous attrape sous la vitesse donnée à nos tours. Nous sommes des billes de flipper rebondissant en tous sens et je lève la tête vers le ciel pour accentuer la vitesse centrifuge de mon corps. Les guirlandes colorées, les étoiles, l'ivresse de la soirée me déconnectent du moment et je ferme les paupières. Un bruit d'hélices ramène toutefois ma conscience au sommet de l'immeuble et j'y découvre des objets volants, flottant au-dessus de nos têtes.

BLOWER SOULOù les histoires vivent. Découvrez maintenant