BLOWER SOUL

Chapitre 22 - Le bleu vous va si bien

Je laisse cette fois-ci Jaya prendre le volant de la petite voiture rouge de l'association. J'ai compris qu'il avait un plan en tête pour cette journée et cela me plaît finalement de me laisser guider.

- Désolé pour mon attitude avec Jackson tout à l'heure, mais j'avoue que je ne l'imaginais pas du tout comme ça, me confie-t-il, alors qu'il roule en direction de notre zone de collecte.

Je ne comprends pas ce qu'il sous-entend et tente de me remémorer la tenue que portait Jackson un peu plus tôt. Un large baggy, un tee-shirt blanc près du corps et recouvert de plusieurs lourdes chaînes dorées. Sa peau laiteuse et ses yeux bridés à moitié dissimulés sous une casquette jaune poussin. Jackson, quoi...

- Je ne sais pas... j'ai un peu honte de l'admettre, mais je le voyais plus mat de peau, complète Jaya, mal à l'aise.

Soudain, je comprends que le tableau qu'on lui a dressé de Jackson pouvait facilement l'induire en erreur. Jusqu'à même son nom, rappelant celui d'un célèbre chanteur noir.

- Tu t'attendais à voir le petit-fils de Bob Marley et tu t'es retrouvé en face d'un chanteur de K-pop limite pubère, c'est ça ?

- Je le reconnais, ouais... C'est con comme réaction, hein ?

- Ce n'est pas si simple de se défaire de certains stéréotypes. T'inquiètes, ça restera entre nous, je le taquine à voix basse.

- Le jour où tu te décideras de balancer tous mes vilains secrets, je serai dans la merde, s'esclaffe-t-il.

- C'est vrai que ce serait dommage. Juste au moment où je crois déceler un semblant de tolérance de la part de Marla. D'ailleurs, tu moulines souvent à ses côtés en ce moment ? je lui demande, en lui lançant un regard soupçonneux.

- Quel est ce mot ? Mouline ? Est-ce un verbe ? Je mouline, tu moulines, il mouline... Non, connais pas ! Si Stallone était là, je suis sûr qu'il aurait pu m'expliquer ce que veut dire mouline.

Je ris de bon cœur à nos bêtises, puis observe en silence les paysages qui défilent durant le reste du trajet.

Après quelques minutes, Jaya s'arrête en face de la maison de Mme Lawson, alias Mrs Blue. Il faut dire que sa maison est la plus reconnaissable d'entre toutes. Est-ce d'ailleurs un nouvel animal que je vois dans son jardin ?

Je sors de la voiture, alors que Jaya en fait le tour pour récupérer notre caisse à roulettes à l'arrière. J'entre sur la pelouse de notre fidèle donatrice et soupire, soulagée de découvrir un dauphin bleu en pierre sur un trépied. Pas besoin de rappeler mon amour indéfectible pour la taxidermie.

Jaya passe à mes côtés en me saisissant la main, nous dirigeant d'un même pas vers la porte d'entrée de la maison aux volets bleus. Cela fait un moment que nous nous touchons de la sorte lui et moi. Nos mains se sont toujours cherchées, attirées. Rien d'inhabituel, donc. Jusqu'à ce baiser. Pardon, ces baisers. Cela change tout, n'est-ce pas ?

« Tu n'es pas amoureuse de ton amoureux. »

L'amour semble être une évidence pour tous, mais pour moi ? Ai-je envie de me confronter à ça ? Je ne connais que l'amour de mon père et là encore, mon don y joue un rôle qui m'a toujours effrayée. Face à mon insécurité actuelle, je ne peux même pas blâmer Jaya. Je me suis enlisée toute seule dans mes émotions, comme une grande.

Je relâche la paume de Jaya juste avant que Mme Lawson ne nous ouvre sa porte.

- Ah ! Vous voilà ! nous accueille la quinquagénaire avec enthousiasme.

- Bonjour Mme Lawson. Comment allez-vous ?

- Très bien ! Je suis ravie que vous soyez venue avec votre collègue cette fois-ci. Et dire que j'ai failli louper cela à cause de mon club de lecture !