BLOWER SOUL

Chapitre 26 - L'homme est de glace face aux vérités

Dix heures du matin. C'est une heure tardive pour quiconque n'ayant pu fermer l'œil de la nuit. La deuxième couche d'anticerne n'est pas plus efficace que la première. Je laisse tomber pour me saisir du mascara. Je ne comprends pas l'angoisse qui me possède. Ce n'est que Jaya... mon Jaya.

D'accord, continue de te voiler la face...

Je recoiffe pour la troisième fois mes cheveux d'un brun profond. Tel un rituel, les picots de la brosse massent mon cuir chevelu et mes mèches qui volent dans le reflet du miroir magnétisent mon esprit.

Ça toque légèrement à la porte, annonçant l'arrivée de mon invité.

- Oui.

Mon père entrouvre celle-ci. Son sourire est craquant et absolument hors contexte. Il est sur le point de faire pénétrer un garçon dans ma chambre et cela semble le réjouir.

- Jaya est là. Je le fais venir ? me demande-t-il.

- Bien sûr. Merci papa.

Je m'assois sur mon lit, le dos droit et les mains jointes sur mes cuisses. Mon pouls pulse à mes oreilles et je me focalise sur ma respiration saccadée.

La porte de la chambre est restée légèrement ouverte, mais Jaya toque tout de même.

- Oui, tu peux entrer !

Il se faufile et demeure à côté de la porte tout en la fixant.

- Tu peux la fermer, Jaya.

- Tu es sûre ? Tes parents...

- Oui, je suis sûre, je le coupe.

Je tente d'afficher un sourire sur mes lèvres, alors que c'est un tout autre sentiment qui déferle en moi. Et il est si difficile à contenir. Je détaille cette chemise bleu marine parsemée de petits motifs blancs qui danse sur les biceps de mon chuchoteur lorsqu'il referme la porte. Le tissu tombe parfaitement sur son ventre plat. Associé à son jean usé bleu et ses baskets blanches, son style chic décontracté me rappelle notre danse en haut du building.

Je relâche une expiration fragile et lui désigne de la main la chaise de mon bureau qui se trouve à sa gauche.

- Tu peux t'asseoir si tu veux.

- Je préfère rester debout.

Sa réponse est étonnante et froide, mais ses yeux, eux, pourraient dégeler l'Himalaya. Ses iris marron, chauds et pailletés d'orange me rendent muette. Ils se mettent à voltiger de mon visage à mes mains, ma taille, pour échouer sur mes lèvres. Comme s'ils me murmuraient : « tu es belle, vulnérable, je saurai prendre soin de toi ».

- Comment te sens-tu, Jaya ?

- Je vais bien, c'est pour toi que je m'inquiète.

Sa réponse me tire un sourire discret et je baisse mon regard sur mes mains quelques instants, savourant sa vivacité d'esprit.

- Tu viens de me piquer ma réplique, je lui révèle. Donc, ton message d'hier était un leurre ?

- Ça se peut bien.

Son regard n'en finit plus de me tester, de me forcer à briser la glace que je souffle volontairement entre nous.

-Ton père se souvient-il de quelque chose ? je lui demande plus sérieusement.

- Je n'en sais rien. Il ne m'a pas adressé la parole depuis hier.

- Et ta mère ?

- Son comportement est resté inchangé. Je suppose que c'est bon signe. Ça veut dire qu'il ne lui a pas rapporté l'évènement.