Chapitre 13 - Danse avec les poneys

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— Qu'est-ce qu'il fait là ?

Marla se renfrogne en découvrant Jaya qui a pris place à notre table de pique-nique. Nous foulons toutes deux la pelouse verte et boueuse du parc du lycée. La neige tombée samedi a fondu, recouvrant New York d'un marécage gris et glacé. Mon sac de cours est lourd et me scie l'épaule, rendant d'autant plus difficile notre progression vers Jaya.

— Fais un effort, pour moi. S'il te plaît... je lui demande d'un ton bas et doux.

Jaya est déjà en train de déjeuner, ayant étalé sur la table des papiers d'aluminium en tout genre et des boissons. Lorsqu'il nous repère, il lève en l'air son sachet de chips.

— Marla ! la hèle-t-il.

— Donc, tu ne m'aideras pas à dissimuler son corps ? persiste-t-elle à me demander.

Je ris pour toute réponse. D'autant que s'il se met à la taquiner, cela m'offre un peu de répit.

— Salut, Jaya, tu vas bien ? je le salue, une fois arrivée à son niveau.

Je m'assois à ses côtés et il pivote vers moi en m'ouvrant grand les bras. Sa posture est davantage comique que séductrice, comme s'il me disait « Viens voir papa ! ». Je me laisse faire et me coule entre ses bras, posant ma tête sur son épaule. Il ne porte pas sa doudoune marron aujourd'hui, mais une sorte de hoodie fourré de couleur grise. Le tissu est doux et possède une odeur de lessive... et de coco ? Peut-être.

J'entends Marla grogner. Je reprends alors ma place initiale, honteuse de ce lâcher-prise que seul Jaya m'incite à avoir.

Je regarde mon amie s'installer sur le banc opposé face à moi. Elle ignore royalement notre invité et lance la discussion comme si nous étions seules.

— J'ai trouvé la musique pour notre prochaine danse, me dit-elle.

— Je ne savais pas que nous avions une prochaine danse.

Elle me fusille d'un regard mauvais, tout en sortant de son sac à dos des Tupperwares remplis d'ailes de poulet froides. Ses gestes sont glaçants, tout comme son regard et ses poulets. Contrairement à ce que déclamait Jaya il y a deux jours, moi elle me fait carrément flipper.

Puis elle reprend la parole, rivant son attention sur ses boîtes plastiques qu'elle s'emploie à ouvrir.

— Tu ne m'as pas dit quel rôle t'avait attribué Mr Thomas dans la pièce de théâtre du lycée ? me demande-t-elle, mine de rien.

Chiotte ! Comment est-elle au courant ?

— Je... C'est notre dernière année et elle est plutôt chargée. Alors j'ai préféré me retirer de la distribution.

Jaya est calme. Trop. Mais il suit avec attention notre échange.

— Donc, tu ne danses plus. Tu ne joues plus la comédie. Et tout ça, à cause de lui ! accuse-t-elle, en désignant Jaya du doigt.

Elle attaque verbalement Jaya, tel un juge addict à la condamnation à la peine de mort. Mais son regard furibond m'est entièrement destiné. Elle m'en veut toujours. Je sais qu'elle ne comprend pas pourquoi j'ai subitement besoin de plus. Plus qu'elle. Et l'émotion s'accroche, déchirant de ses griffes acérées ma trachée.

Jaya se penche et se saisit avec douceur de la main de Marla qui le désigne. Elle tressaille de surprise, mais ne se soustrait pas immédiatement à son contact. Le don passif agirait-il ?

Marla récupère finalement son doigt et masse son poignet, arborant un air blessé sur le visage. Elle semble plus calme.

— Saori, Marla a raison, dit Jaya. Tu ne peux pas abandonner tes fans comme ça. Même si tu n'as plus envie de danser, tu dois leur dire au revoir.

BLOWER SOULOù les histoires vivent. Découvrez maintenant