BLOWER SOUL

Chapitre 37 - Lovers to ennemies

Saori

Je suis installée dans un fauteuil confortable en face du bureau de Mr Willis. Il m'explique en long, en large et en travers, le quotidien de la vie des enfants qui vivent ici. Il est très fier de son Centre, ça se sent. Je crois qu'il est lui-même enfermé ici depuis trop longtemps. Il est complètement à côté de la plaque s'il croit pouvoir réinsérer ces enfants dans la vraie vie. Pour le bien de tous, il devrait nous enfermer indéfiniment. Nous sommes des nuisibles. Des parasites incontrôlables.

- Tu es la première à venir chez nous sans passer par un médecin, tu sais ? me dit-il avec un doux sourire.

Je tente de repérer le piège qu'il me tend dans ses iris glacés. Il pense pouvoir me manipuler, mais ma mère qui fait la moitié de sa taille est bien plus intimidante que lui.

Deux coups sont frappés, puis la porte s'ouvre dans mon dos. Je ne me retourne pas, sachant qui s'apprête à entrer. Je vois Mr Willis faire un geste de la main en direction du siège situé à ma gauche. Et Jaya prend place.

- Matthew, restez avec nous, s'il vous plaît.

J'entends la porte se refermer doucement dans mon dos.

Personne ne dit mot.

Je me force à demeurer stoïque, le regard fixé sur le docteur. Mais la longue jambe de Jaya m'attire, irrésistiblement. Elle s'agite et le talon de sa sneaker commence à frapper le sol à un rythme soutenu.

- Bon... annonce, Mr Willis, les mains jointes. Ce qu'il s'est passé tout à l'heure dans la classe ne doit plus se reproduire.

Voilà. C'est simple, clair et concis. Dégagez, y'a rien à voir.

- Je veux qu'elle quitte le Centre, annonce Jaya, sur un ton rapide et froid.

Je ne le regarde toujours pas, mais ses mots sont des katanas qui me transpercent de toutes parts. Des piqûres qui irradient et sinuent dans mon corps au gré de toutes mes terminaisons nerveuses.

- Ce n'est pas à toi d'en décider, lui rétorque Mr Willis.

Chaque silence s'invitant dans leur échange, accentue la tension. Seuls Jaya et moi connaissons les raisons de sa réaction violente. Et pourtant, le regard que se lancent ces deux-là me fait dire que le problème est ailleurs.

- C'est elle ou moi, balance Jaya en un ultimatum.

Mr Willis ferme les yeux et je perçois une bosse sur son front. Non, c'est autre chose... une veine se gonfle à vue d'œil et lui traverse le front. Lorsqu'il rouvre les yeux, c'est une autre personne qui nous fait face. Exit le médecin doux et avenant. Satan est parmi nous.

- Mais pour qui tu te prends, espèce de sombre petite merde.

Mr Willis n'a pas crié et pourtant, nous hoquetons tous les trois à ses mots. Que je sois surprise est une chose. Que Jaya et le soignant le soient, beaucoup moins. Est-ce la première fois qu'il lui parle de cette manière ?

Le médecin se lève de son siège et se dirige lentement vers Jaya.

- Tu veux vraiment me défier, Jaya ? As-tu bien réfléchi aux conséquences de m'avoir comme ennemi ?

Mr Willis est devant Jaya, mais ses yeux sont rivés sur moi. Suis-je l'enjeu de cette discussion ? Bien sûr. Jaya veut me voir partir après tout.

- Monsieur, si je peux me permettre...

C'est le gars tatoué à la blouse blanche qui a pris la parole. Il ressemble à un membre de la mafia Russe qui se serait égaré dans un asile de fous. Ils ont des filières de recrutement bien curieuses.