---
Je m’installe dans mon abri, un coin perdu entre deux immeubles, caché derrière des poubelles qui me servent de rempart contre les regards indiscrets. C’est pas grand-chose, juste quelques cartons empilés, une vieille couverture trouée pour la nuit, mais c’est chez moi. Ici, au moins, personne vient me chercher des ennuis. Pour une fois, je suis en sécurité.
Je dépose mon sac à côté de moi, et avec un soupir, je soulève mon t-shirt pour observer les bleus qui couvrent mes côtes. Le combat avec Marco et ses gars m’a laissé des marques. Chaque respiration est une douleur aiguë, un rappel constant que j’ai affronté des types plus costauds que moi aujourd’hui. Mais je serre les dents et j’ignore la douleur. J’ai appris à vivre avec. Ça fait partie du prix que je paie pour survivre.
En fouillant dans mon sac, je trouve un vieux t-shirt déchiré. Je l’utilise pour essuyer le sang qui coule de ma lèvre fendue et de mes doigts abîmés. J’ai des pansements de fortune, une vieille boîte de premiers secours que j’ai récupérée dans une benne à ordures, mais ça fera l’affaire. Je prends un morceau de bandage et l’enroule autour de ma main, serrant juste assez pour contenir le sang.
Je repense à ce qu’ils m’ont dit, ces types. Ils m’ont traitée comme une moins que rien, comme si j’étais juste une gamine paumée dans leurs rues. "Juste une fille", comme ils disent. Mais s’ils savaient… S’ils savaient ce que j’ai dû faire pour en arriver là. Ils comprendraient vite que j’ai pas besoin de leur pitié. Tout ce que j’ai, je l’ai gagné. À la dure.
Parfois, je me dis que tout ça aurait pu être différent. Que si j’avais eu une vraie famille, des gens pour me protéger, peut-être que je serais pas là, à me battre pour chaque mètre carré de bitume. Peut-être que j’aurais pas cette rage en moi, cette envie de prouver que je suis plus forte qu’eux. Mais j’ai plus de famille, juste des souvenirs qui s’effacent, et ça fait longtemps que je me suis fait une raison.
Naples est devenue ma maison, même si c’est une maison sans chaleur, une prison à ciel ouvert où chaque jour est une lutte pour rester en vie. Y’a des mafieux dans chaque rue, chaque quartier a son gang, et les gens comme moi, on est juste de passage dans leurs affaires. Ils se foutent de ce qu’on devient, tant qu’on reste à notre place, bien docile. Mais moi, je suis pas docile. Et ça, ça leur plaît pas.
Je jette un coup d’œil à mon couteau, celui qui m’a sauvé plus d’une fois. Une lame simple, rien de spécial, mais je l’entretiens comme si c’était un trésor. Ce soir encore, il m’a tirée d’affaire. Si Marco s’attendait à ce que je baisse les yeux, il s’est bien trompé. Ces types-là comprennent que la violence. Alors, je leur donne ce qu’ils cherchent.
Je ferme les yeux un instant, écoutant les bruits de la rue. Y’a des voix au loin, des rires de gars probablement bourrés, des pas qui s’éloignent. Ici, chaque son est un signal d’alerte. Un avertissement. Ça me rappelle pourquoi je reste toujours sur mes gardes. Je peux pas me permettre de relâcher la pression, pas une seconde. C’est comme ça que je vis. En alerte, prête à me défendre, à attaquer s’il le faut.
Des fois, je croise d’autres gamins comme moi, des mômes perdus qui traînent dans les rues, cherchant un abri pour la nuit. Ils me regardent avec une lueur d’espoir dans les yeux, comme si j’allais les sauver, comme si j’étais différente. Mais je peux rien pour eux. Chacun pour soi ici. Si je commence à les aider, c’est moi qui me retrouverai à terre, plus vite que je pourrais dire mon nom.
Les mafias… j’entends parler d’eux, de cette "Famille" qui contrôle tout. Ils disent que personne leur échappe, que leurs règles sont les seules qui comptent dans cette ville. C’est presque comme une loi divine. Certains croient que faire partie de la Famille, c’est avoir enfin une place, être enfin respecté. Moi, je sais juste qu’ils sont pas si différents des autres : ils font ce qu’ils veulent des plus faibles, écrasent ceux qui osent s’opposer à eux. Un jour, peut-être qu’ils entendront parler de moi. Peut-être qu’ils comprendront ce que ça fait de croiser quelqu’un qui refuse de plier.
En attendant, je me concentre sur ce que je dois faire pour tenir le coup. Demain, je chercherai des petits boulots, peut-être au port. Y’a toujours des tâches à faire pour quelques billets, même pour une fille comme moi. Et si jamais quelqu’un me cherche des ennuis, j’ai toujours mon arme dans la poche arrière. C’est pas grand-chose, mais c’est assez pour leur faire comprendre que j’ai pas l’intention de me laisser marcher dessus.
Je me redresse, malgré la douleur, et je regarde le ciel noir. Naples, sous la lune, est aussi magnifique que cruelle. Ici, j’ai appris à me débrouiller, à survivre sans compter sur personne. Les rues sont devenues mon terrain de chasse, et moi, j’y erre comme un animal sauvage. Que les gens me voient comme un animal, je m’en fous. Tant que je reste en vie, c’est tout ce qui compte.