La neuvième lettre : Le goût de la vie

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Chère Jersey,

Je doute que tu comprennes ma douleur. Tu aurais pu imaginer une vie sans moi ? Tu aurais pu imaginer une vie avec ma mort « sur la conscience » ? Tu aurais pu imaginer une vie avec moi dans une tombe ? Tu aurais pu imaginer une vie en sachant plus jamais tu n'aurais l'occasion de me revoir ? Je ne crois pas que tu aurais su imaginer une telle chose, une telle calamité, une telle catastrophe. C'était tout bonnement inimaginable, impossible et pourtant, ce que je croyais qui n'arriverait jamais à mes yeux parce que tu étais éternelle pour moi, est arrivé sans que je ne m'y attende, sans que je n'y sois préparé.

Jersey, tu ne pourras jamais imaginer le choc que j'ai eu lorsque j'ai appris que tu n'étais plus de ce monde. Tu sais, j'ai encore du mal à m'en rendre compte, à l'imaginer, à m'y faire. J'ai l'impression que cela c'était passé il y a une éternité mais en même temps, il y a quelques heures seulement. Je suis tellement perdu et tellement confus que je ne sais même plus quel jour on est et que je n'arrive pas à tilter que cela fait presque un mois que tu nous as quitté, tard dans la soirée. Le soleil était encore à l'horizon alors que tu donnais ton dernier souffle de vie. Mon cœur se comprime à ses mots. Mon cœur saigne et je crois qu'il fait une hémorragie sous toute cette douleur que tu me « cause » inconsciemment.

Jersey, Louis te pleure. Puis, pour une fois, moi aussi. J'ai enfin réussis à pleurer ta mort et moi qui croyais que j'allais avoir encore plus mal après, je me suis gouré. Au contraire, je me sens plus libre, plus léger, plus serein même si ce n'est toujours pas « ça ». Je me souviens, tu disais souvent ; « Ca va, mais ce n'est pas... ça ». Tu avais cette manie de le dire lorsque je te demandais si tu allais bien. Et je m'en rends compte que maintenant, ou du moins je m'en pose vraiment la question, mais que voulais-tu dire par « ça » ? Je ne sais toujours pas ce qu'il veut dire et je l'ai employé en ne sachant pas vraiment ce qu'il veut dire pour moi. Je pense que tu disais cela, pour éviter de m'inquiéter quand quelque chose te dérangeait, t'ennuyait ou que tu allais mal. Tu n'avais pas envie d'en parler, alors que sortais cette réplique que je vais sûrement commencer à utiliser de plus en plus.

Jersey, tu ne peux pas savoir que je me souviens de toutes les fois où tu m'avais dis que tu allais bien et où je sentais qu'en réalité, ça n'allait pas mais je ne disais rien. Je m'ne veux pour toutes ces fois, parce que j'étais censé être présent pour toi, j'étais censé être là pour toi, j'étais censé être à ton écoute, j'étais censé être là pour te conseiller, j'étais censé être là pour te réconforter. Mais en fin de compte, je n'étais jamais vraiment présent, toujours aux quatre coins du monde pour chanter pour des centaines et des milliers de fans de toutes origines, de tous sexes, de toutes cultures, de toutes religions, de toutes croyances, de toutes couleurs de peau. Je n'arrive pas encore à croire que le groupe et moi arrivons, juste en un seul concert, à réunir autant de personnes aimant la même chose alors qu'ils sont presque tous des opposés des uns des autres.

Jersey, tu me manques énormément. Je n'aurais cru que je ne pourrais jamais revoir ton visage. Si j'avais su, je ne t'aurais pas quitté de cette façon. Je me serais sûrement retourner, je t'aurais lancé un dernier regard avant de partir, même si je sais que je n'aurais pas su partir. Je n'aurais pas su te laisser tomber, te quitter si je m'étais retournée. Ton visage devait sûrement être déconfit, brisé, tourmenté, confus, surpris, tordu, perdu. Je ne sais pas à quoi tu ressemblais lorsque j'ai ouvert la porte de ton ancien appartement et que je suis parti, mes affaires sous le bras en te laissant à une vie de célibataire endurcie mais brisée par son ex.

Mais Jersey, j'ai beau te dire que je n'arrive pas à me faire que tu es mort mais je n'arrive pas non plus à me faire à l'idée que tu ne pourras plus jamais être mienne, que je ne pourrais jamais te faire mienne à nouveau. Je déteste cette idée alors qu'elle vient justement de me frôler l'esprit. Elle me vient de me traverser et je la déteste déjà. Je ne sais même pas pourquoi je l'ai laissé apparaître sur cette feuille alors qu'elle va gâcher toute ma lettre déjà dégueulasse. Ma lettre n'est pas très belle, elle ne saura jamais rivaliser avec tes lettres à toi. Elle ne ressemble à rien et part totalement en vrille. Je n'arrive pas à rester concentrer sur un seul sujet et puis, je n'arrête pas de dériver sur le fait que tu me manques, sur le fait que tu n'es plus là et que tu ne sera plus jamais là. Je n'arrête de me dire et de te dire que les souvenirs c'est ce qu'il y a de plus douloureux dans cette situation à la con.

Les larmes perlent de nouveau sur les joues alors je termine mon paquet de cigarettes avec Louis, qui pleure aussi. Nous ressemblons à deux enfants qui se sont fait engueulés par leurs parents ou encore deux adolescents prirent en flagrant délit lors d'une sale connerie. Nous pleurons pour une connerie que nous n'arrivons pas à ne serais-ce qu'envisager alors, réaliser est une toute autre chose. Nous pleurons comme deux enfants lorsqu'ils perdent ce qu'ils chérissaient le plus et qu'ils n'arrivent pas à le retrouver, que ce soit un jouet ou une peluche fétiche. Sauf que normalement, les enfants finissent par retrouver leur bien mais nous, nous n'arriverons jamais à te retrouver, pas tant que nous sommes encore sur cette planète, pas tant que nous n'ayons pas rejoint le ciel.

Le paquet est bientôt terminé et comme Louis vient de sortir encore un cylindre de la boîte, il sort son propre paquet de la poche de sa veste et le pose à côté du mien. Je crois que mon briquet aussi va bientôt rendre l'âme. J'ai l'impression que tout est en train de mourir, de blanchir, de partir en poussières, de se réduire en cendres autour de moi. Tout commence à divaguer, à perdre de plus en plus de l'éclat, à devenir terne et à perdre toute son importance, tout son intérêt. Je perds goût à la vie, Jersey et c'est extrêmement grave. J'ai toujours aimé la vie, tout ce qui la constitue même si c'était quelque chose de mauvais et de douloureux.

Je me suis toujours dis qu'il fallait faire avec, qu'il fallait faire comme si c'était naturel parce que dans un sens, c'est le cas. La douleur c'est naturelle parce qu'une vie sans une once de douleur, de peine, de tristesse, de regret, de remord, de noirceur, de peur, d'obscurité ce n'est pas une vie. Puis une vie sans une once de rose, de bonheur, de joie, de sourire, de rire, d'étoiles dans les yeux, de souffle saccadé, de liberté, de souvenirs, d'évasion, de rêve, de cœur battant la chamade, de rougissement, ce n'est pas une vie non plus. Je ne suis pas en train de dire que tu n'avais pas de vie, du moins pas avant moi. Mais c'était juste que la « vie » que tu menais, n'était pas vraiment une vie. Tu méritais tellement plus que tout ce que j'ai bien pu t'offrir, que tu prétends que je t'ai donné, que tu insinues que je t'en ai fais prendre compte, que tu sous-entends que je t'ai fais réalisé.

Jersey, te souviens-tu de ce que tu ressentais ? Te souviens-tu de ce que ça te faisais ressentir ? Te rappelles-tu seulement la vie que tu as mené ici bas, autant avec ou sans moi ? Tu es dans le ciel et je doute que tu te souviennes vraiment de ta vie, que tu souviens de quoique se soit que tu as fais ou dis ici. Tu avais ton importance à mes yeux et parce que la vie n'aime pas quand on la devance, elle m'a prise de court en t'arrachant à moi, tout comme la personne, là-haut ou là-bas qui écrit notre histoire, qui décide de ce qui va se passer dans le futur.

Tout le monde m'a devancé et je me sens vraiment con de n'avoir rien vu venir. Sûrement que si je n'avais pas fais des recherches pour te retrouver, tu serais encore de ce monde. C'est triste et morose, glauque et morbide, à penser mais c'est la vérité. C'est ce que je pense et je suis sûr que si les rôles avaient été inversés, tu aurais pensé exactement la même chose. Tu aurais encore plus détesté le monde que tu ne le détestais déjà. Tu aurais encore plus détesté le monde qu'auparavant et tu aurais encore plus perdu goût à la vie, que je t'ai fais prendre principalement. Je t'ai aidé à prendre goût à la vie, à l'existence et de voir tout cela comme étant un cadeau, douloureux et chiant, certes, mais beau et fragile.

Jersey, je t'aime encore plus et mes lacrymales souillent cette feuille déjà bien crade de mes mots.

« Do you remember the way it did you feel ?

Do you remember the things that let you feel ? »

-Niall

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Musique ; Jarryd James - Do You Remember


Dear Jersey//n.hOù les histoires vivent. Découvrez maintenant