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    La sonnerie retentit et je songe à quitter la salle. Il sera bientôt six heures. Emily m'attendra au café, les yeux rivés sur la vitrine en verre, en quête de sa petite soeur, tandis que chaque individu présent ne pourra détacher son regard d'elle. Peut-être viendra-t-on l'aborder? Il y a de fortes chances.

   Je pose mon pinceau sur la table, consciente que je n'achèverai pas mon portrait ce soir. Invariablement, je tente d'imprimer les lignes de mon travail dans ma mémoire, afin d'y repenser sur le chemin, de trouver les améliorations que je ferai le lendemain pour remédier à mon manque de profondeur- mon but quotidien.

Une voix surgit du néant alors que j'essuie mes pinceaux avec un chiffon déjà bariolé.

_ Les ombres sont finement menées.

Je m'immobilise. Une goutte vermeille s'étend sur mon jeans.

_ La structure légèrement bancale. Les couleurs intéressantes, mais trop ternes. Le coup de pinceau un peu maladroit.

Je fais volte-face, surprise. Un garçon-plutôt un jeune homme- me toise. Vingt ans tout au plus. Les traits symétriques, tout de noir vêtu, un sourire étincelant.

_ Je m'appelle Peter, me dit-il en me tendant une main calleuse.

Je l'accepte.

_ Heather.

Son sourire déclenche des étincelles dans mon corps tout entier.

_ Et qui es-tu, Peter? Et pourquoi me donnes-tu un avis aussi critique sur mon travail?

_ Je suis étudiant en photographie. Et... J'aime bien le style de ta peinture. Pas assez assuré à mon goût. Comme quelqu'un qui a peur de sauter dans le grand bain.

Je brandis mon pinceau face à lui.

_ Et pourrais-tu faire mieux, monsieur l'étudiant? La critique est facile quand on n'y connaît rien!

Il éclate de rire. Sa voix est grave, imposante et mature. Mon coeur tambourine lâchement dans ma poitrine.

_ Je te l'ai dit, mon domaine c'est la photo, et j'aime bien ton travail. Je m'y connais un peu en peinture. Entre artistes on se comprend.

   Contre toute attente il s'en va. Puis revient quelques secondes plus tard, un immense carton qui me parait bien lourd entre les mains. Il le pose puis répète l'opération avec une dizaine d'autres.

_ Enfin tu n'as qu'à appuyer sur un bouton, j'appelle pas ça un travail de titan!

Il s'arrête, pose son fardeau à terre, m'étudie à la manière d'un peintre, détaillant chaque courbe, chaque creux de mon visage.

_ Tu sais bien, Heather, que c'est bien plus que cela. Ne te fais pas plus étroite d'esprit que tu ne l'es, lâche-t-il après un moment.

  La manière avec laquelle il prononce mon prénom me heurte.
Comme un couchée de soleil. Sur ses lèvres mon prénom m'inonde, comme un rai de lumière.
Je l'observe, muette. Il est vraiment très beau.
Sa beau basanée. Une barbe de trois jours nait sur son menton. Ses yeux noisette me transpercent.

_ Bon? Tu vas m'observer pendant longtemps ou tu vas venir m'aider?

Je mets fin à ma rêverie et viens lui apporter mon soutien.

_ Dis-moi, Heather, est-ce-que tu saurais, par un heureux hasard, où je pourrais poser tout ce bric-à-brac?

Sa voix a quelque chose d'envoutant. Son timbre grave est charmant. Il m'observe avec application.

Le caramel macchiatoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant