Le caramel macchiato

11

_ Allez grosse feignassse réveille-toi !

Un large tissus cotonneux s'abat sur moi et je m'efforce difficilement de l'éviter, roulée en boule dans mes couvertures.

_ Em, va-t'en ! Laisse-moi dormir ! Et mourir en paix ! je soupire, ensommeillée.

La taie d'oreiller recommence son assaut infernal.

_ Allez, H ! Aujourd'hui est une grande journée ! C'est le premier jour du reste de ta vie !

_ Ta gueule ! lancé-je, la bouche pâteuse et les yeux toujours clos.

_ Allez marmotte ! Debout !

_ Mais pourquoi ? je souffle, abattue par son arrivée bien trop matinale à mon goût.

_ Parce que demain on est samedi ?

_ Et alors ? Je commence à onze heures !

  Soudain un poids s'abat sur mon lit et je me retrouve catapultée à l'autre bout du matelas. Une tempête de bras, de jambes et de cheveux blonds me déloge de mon oreiller et le doigt d'Emily s'enfonce dans mon oreille.
Arg je la déteste !
Je me retourne, feignant une colère noire, et lui lance un regard assassin.

_ T'es pas censée avoir un appart déjà ?

_ Steph a ramené son mec à la maison, si tu vois ce que je veux dire... s'exclame-t-elle, ses lèvres s'incurvant en une grimace dégoutée. Alors j'ai déserté l'appart et je suis venue dormir à la maison ! Sauf que ça fait déjà deux heures que j'attends que tu te réveilles !

Elle saisit mon ours en peluche mauve et me le jette à la figure.

_ Alors tu vas me faire le plaisir de te lever et de m'accompagner en ville!

J'ignore délibérément ses dernière paroles et m'immerge un peu plus dans mon lit King size.

_ Oh non, H! Ne me force pas à employer la manière forte!

_ T'en es pas capable... je marmonne, ma voix atténuée sous mes innombrables couvertures.

_ Ça c'est que tu crois!

  Le lit grince puis le contrepoids m'informe qu'elle s'est levée. Soudain, un éclair aveuglant me transperce. Cette conne a ouvert les rideaux! Et un rai de lumière flamboyant se déverse dans ma chambre, éclairant le bureau recouvert de dessins par centaines. Une explosion de crayons, feutres, pastels et tubes de peinture gît sur le bureau, débris de couleurs éclatantes et lumineuses. Les murs foisonnent de gouache, aquarelles et autres et je suis de nouveau éblouie par ma passion dévoilée au grand jour. C'est sidérant à quel point j'ai recouvert chaque surface plane de ma chambre par une teinte ondoyante!
Emily intercepte mon regard porté sur une aquarelle colorée.

_ C'est vrai que cette fille est vraiment canon! lance ma soeur avec ironie.

  Je lève les yeux au ciel. Il s'agit d'un de mes millions de portraits d'Emily. Je l'avais peinte, il y a des années de cela, au ranch où nous allons tous les étés. Dan se tenait à mes côtés, et mélangeait les couleurs selon mon bon vouloir, comme un parfait petit assistant. C'était le bon temps!

  Puis, sans prévenir, affublée d'un coussin monumental, la gaudiche qui me sert de soeur m'assaille sauvagement, me faisant tomber en arrière. Je pousse un hurlement assassin, me saisis de mon traversin et lui aplatis la tête avec mon gros boudin à fleurs.
Les éclats de rire se poursuivent, jusqu'à ce qu'elle se hisse sur les coudes et me fracasse la tête avec mon polochon. Alors Emily se dresse sur ses pieds et enjambe distraitement la distance qui la sépare de mon armoire, tandis que je remets de l'ordre au fatras qui me sert de chevelure.