Je fixe la feuille vierge qui se dresse devant moi. Elle semble me dévisager. Je rabats la couverture sur mon calepin, le cœur au bord des lèvres.
_ Alors ? J'ai pas eu le temps de t'envoyer un message, Jill se met à chuchoter, mettant ses mains en porte-voix pour m'indiquer que je suis dans le secret, fallait que je range avant que mon père et la sangsue ne rentrent.
La sangsue : la nouvelle femme de son père qu'elle déteste par-dessus tout. Elle lui a même fait un petit frère, que ma meilleure amie prétend haïr encore plus. Mais je la connais, je sais qu'elle l'adore le petit Leo.
_ Comment ça va ta tête ? Quand je me suis réveillée le lendemain t'étais littéralement affalée sur Dan avec un (elle mime l'action avec ses mains) long filet de bave qui coulait sur ta joue. Toujours aussi sexy, ma Heather.
Et elle éclate de rire. Je reste là, muette et impavide, incapable de lui avouer que Dan m'a en quelque sorte déclaré sa flamme. Et que je me suis endormie.
JE ME SUIS ENDORMIE !
_ Euh... Comment tu appelles des millions d'aiguilles brulantes qui s'enfoncent dans ta tête avec la sensation qu'un hippopotame s'assoit sur ton crâne et que des feux d'artifices explosent dans tous tes neurones ?
Elle prend une expression compatissante. Me pose une main sur l'épaule.
_ La gueule de bois.
Jill s'assoit en face de moi, retirant son poncho mexicain bariolé de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Elle n'a qu'un vieux débardeur bleu turquoise en-dessous et je me dis qu'elle doit mourir de froid. On n'est qu'en octobre.
_ Comment ça se fait que toi tu n'as jamais rien ! Tu bois comme un trou et le lendemain tu te réveilles en pleine forme ! C'est injuste !
Elle lève les sourcils et me lance un regard aguicheur. Sur son visage juvénile ça ressemble plutôt à une grimace mais je me garde bien de le lui dire. Elle me pique un morceau de pain.
_ Le métabolisme ma petite !
Soudain elle se lève, à la recherche d'un plateau déjeuner. Sous toutes les couches de vêtements qu'elle s'évertue à porter elle est tellement maigre. Et j'ai l'impression qu'elle va s'envoler comme une plume si je lui souffle dessus.
Je récupère mon calepin au fond de mon sac, et un crayon gras. Puis j'entame l'esquisse d'un visage; mais à peine ai-je défini le contour de ses joues qu'une violente douleur me perce la paume de la main. Le bandage est presque noir à cause de mes essais ratés de me remettre au dessin.
En fin de compte, j'ai dû aller à l'hôpital pour deux points de suture. La plaie était plus profonde qu'on ne l'aurait cru.
_ Salut l'alcoolo ! lance Scott en s'asseyant à côté de moi, suivi par tous les autres.
Je lève les yeux au ciel.
_ J'étais pas bourrée espèce de mufle !
_ Quand on t'a récupérée t'étais avachie par terre. Et tu ronflais. Très fort.
Je détourne le regard.
Ils s'assoient tout autour de moi et je prends alors conscience du malaise. Depuis mon entrée dans ce lycée il n'y a pas eu un seul jour où Dan n'était pas à côté de moi à piocher dans mon assiette lorsqu'on mangeait ensemble. Or il est très loin. Comme s'il cherchait à m'éviter le plus possible.
De toute l'histoire des déclarations d'amour foireuses, s'endormir est certainement la pire réponse imaginable !
Je le vois bien à son regard fuyant, à la manière à laquelle il fixe ses pouces dès l'instant où je lève les yeux sur lui, et à cet air absent qui le ronge. Il m'en veut.
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Le caramel macchiato
Novela JuvenilDeux filles. Deux meilleures amies. Deux sœurs. Heather a toujours vécu dans l'ombre de sa grande soeur, la si fabuleuse Emily. Elle est son modèle, son idéal, sa confidente. Sa plus grande force mais aussi sa pire faiblesse. Mais lorsque la cad...