Le caramel macchiato

18

_ La confiance. Qu'est-ce-que la confiance? psalmodie une voix grave.

Mr. Eckless déambule entre les rangs, un exemplaire d'une quelconque œuvre de Cummings entre les mains.

_ La foi en l'autre peut-être, poursuit-il avec aplomb.

Il pourrait bien s'adresser à une classe vide qu'il déblatèrerait son discours d'un air toujours aussi solennel.

_ Qu'en pensez-vous, Miss Walsh? me demande-t-il, ses petits yeux sombres braqués sur moi.

Je griffonne mentalement les traits de son visage vieillissant. C'est un homme entre deux âges, carré d'épaules, et de taille moyenne. J'analyse mentalement chacun de ses traits pour les retranscrire dans une toile immatérielle. Une chevelure brune étrangement bien fournie, poivre-et-sel sur les tempes. Un visage vieillissant. Un nez busqué dont l'arête est violacée.
Mr. Eckless se tient bien droit, le menton pointé vers le plafond.
Je n'aime pas cet homme hautain. Surtout lorsqu'il me pose une colle pareille, sachant pertinemment que j'ai horreur de ces pseudo questions existentielles.

_ Je n'en sais rien.

_ Enfin, Heather, un peu d'imagination. Ne me dites pas que ces mots n'évoquent rien pour vous.

Sa voix macabre. Son teint cireux. Son haleine fétide, mélange de cigarette et de chair en décomposition.

_ Tenez, la confiance en l'autre si celle en soi-même ne vous inspire pas!

Je tourne imperceptiblement la tête, lançant un regard à la dérobée à mon meilleur ami. Il m'évite ostensiblement, trop occupé à gribouiller des petits mots doux à l'attention de Tiffany, sa nouvelle conquête.

Je déglutis, mal à l'aise.

_ La confiance c'est savoir au plus profond de sois que vous pouvez toujours compter sur l'autre, même s'il fait des erreurs, et accepter de lui donner une seconde chance, lancé-je en appuyant ma remarque d'un coup d'oeil à ma droite.

Non. Il persiste à m'ignorer tout son soûl.

_ Je crois que vous vous tromper. Vous faites plutôt référence à l'absolution. Le pardon pour vos esprits incultes.

Puis il me tourne le dos, et regagne le tableau noir de sa démarche tranquille, gonflé d'orgueil. Je le hais de tout mon coeur.

QU'EST-CE-QUE LA CONFIANCE?

Il trace ces lettres immenses, en capital, faisant crisser la craie sur le tableau. Tout en lui n'est qu'autosatisfaction.

_ Vous en débattrez avec votre binôme, peut-être que l'un d'entre vous trouvera de quoi combler les lacunes de votre camarade.

Il m'adresse sa réplique avec un sourire mauvais. Des rides creusent ses joues. Ses dents sont jaunes.
Sur ce il s'assoit à son bureau et poursuit sa lecture, ponctuant chacun de ses soupirs de hochements de tête satisfaits.

_ Dan... je souffle à son attention.

Il n'esquisse aucun geste.
Perplexe, je lui donne un coup de coude. Il tourne lentement son visage vers le mien, d'un air supérieur. Daniel impose une distance entre nous que je ne supporte pas, surtout lorsque nos nuits blottis l'un contre l'autre me reviennent en mémoire.

_ Qu'est-ce-que tu penses de la confiance? je lui demande en poussant mon carnet vers lui, mal assurée.

Ma main est toujours douloureuse lorsque j'écris. Je suis donc graciée de tout ce qui n'est pas obligatoire.

_ Qu'elle ne devrait pas être donnée à n'importe qui, rétorque-t-il avec froideur.

Sa pique me fout un coup au coeur. J'humecte mes lèvres.