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Rien ne se passe, rien se crée, mais tout se transforme.

Depuis deux semaines, ma vie est au point mort, comme si le temps s'était arrêté et que j'étais la seule à contempler ce petit monde suspendu dans les airs. C'est comme si on avait rembobiné le film et que tous ceux que j'avais eu le malheur de blesser avaient effacé mes trahisons pour tout recommencer, mais sans moi. Et moi je les regarde au loin, hors d'atteinte. C'est comme si j'étais le personnage secondaire de ma propre vie.

Emily file le parfait amour avec Peter. Les autres profitent joyeusement de leur adolescence. Et Dan n'est plus amoureux de moi. C'est étrange parce que rien n'a changé: il me tient toujours la porte quand il me précède dans la cage d'escalier, il partage toujours son paquet de sandwiches triangles avec moi, il pioche toujours dans ma trousse pour me voler ma gomme, il me prend toujours dans ses bras et il me fait toujours rire. Mais plus rien n'est comme avant. Dan n'est plus amoureux de moi et je me sens seule au monde.

. . .

Emily se dandine devant moi mais rien n'y fait, j'ai le moral à zéro. Elle a pourtant mis le paquet: robe à fleurs, collants violets, colliers de fleurs hawaïens et serre-tête oreille de chat. Je la regarde lever les bras et les jambes dans un rythme dissonant et c'est franchement hilarant sauf que ça ne me fait ni chaud ni froid.

Démotivée et à bout, elle vient s'écraser à côté de moi, gilet en fausse fourrure et tout son barda sur le dos.

- J'abandonne, maugrée-t-elle.

Elle me donne une pichenette sur le front.

- Et si tu me disais plutôt ce qui va pas? propose-t-elle en s'appuyant sur son coude.

Ses longs cheveux blonds tombent de part et d'autre de son visage.

- J'ai le cafard.

- Tu m'en diras tant, ironise-t-elle.

Je pousse un soupir digne des plus grandes héroïnes tragiques- Andromaque n'a qu'à bien se tenir!- alors elle m'enfonce un doigt dans l'oreille. Je m'insurge.

- T'es sérieuse? Tu vois pas que je suis déjà au fond du trou?

- Au moins, raille-t-elle, ne prenant visiblement pas ma profonde mortification au sérieux.

J'enfonce ma tête dans mon polochon et la secoue en hurlant, pour le côté dramatique. J'entends Emily grommeler.

- Tu veux pas m'épargner tout ton cinéma et me dire plutôt ce qu'il y a?

Je lui lance un regard dubitatif. Elle me donne une tape dans l'épaule et va savoir pourquoi, ça me pousse à parler.

- Dan a une meuf.

Et je cache mon visage avec mes mains tant je suis rouge de honte. Je ne suis franchement pas d'humeur à entendre son discours présomptueux du « je savais bien que tu l'aimais bien ». Elle se rallonge à côté de moi et me prend la main distraitement.

- Et ça te fait quoi? demande-t-elle calmement.

Sa voix compréhensive me surprend. Je fixe le plafond, indécise. J'ai du mal à formuler une pensée cohérente ou même à mettre un mot sur ce que je ressens mais ce qui est sûr c'est que:

- Ca me fait chier. Genre vraiment.

- Tu le kiffes?

Il n'y a ni jugement ni moquerie dans sa voix, juste de la patience et de la bonne volonté.

- Je crois pas. J'en sais trop rien, je bredouille.

Je me tourne vers Emily. Ses yeux turquoise me fixe avec attention.

Le caramel macchiatoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant