Chapitre 16

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En prononçant le nom d'Amaury, je vis Aria frémir. Même avec sa lèvre tuméfiée, elle restait d'une beauté troublante. J'imaginais son éclat dans une jolie robe, ou même sans rien du tout. Ses doigts caressaient la couverture du livre, perdus dans ses pensées.

— À quoi penses-tu ? lui demandai-je.

Elle releva la tête, visiblement hésitante.

— Pourquoi êtes-vous...

Elle n'osa pas aller au bout de sa phrase.

— Pourquoi je suis quoi ?

— Eh bien, l'autre fois pour la nourriture, votre intérêt, et maintenant le livre... Je ne sais pas, c'est étrange venant de...

— De moi, un Allemand ? la coupai-je.

Ses joues rosirent, et je remarquai qu'elle paraissait gênée. En y réfléchissant, il était vrai que je ne portais généralement aucun intérêt aux Juifs. Mais bizarrement, elle avait éveillé ma curiosité.

— Vous, vous ne m'avez jamais crié dessus, dit-elle timidement.

Je ne pus m'empêcher de sourire. C'était vrai que, contrairement à Amaury, ma manière d'interagir avec elle était différente.

— Ne t'y habitue pas, lui répondis-je en gardant un sourire.

Un petit sourire se dessina sur son visage émacié, ce qui ne fit qu'accroître mon intérêt.

— Bien, je crois que je devrais finir mon travail ici alors.

Elle se dirigea vers son chariot. Voilà que la petite couturière insolente me faisait de l'effet, malgré moi. Je devais sans doute encore être sous l'emprise de l'alcool de la veille. Me levant, je déposai une cigarette sur la table, mais elle ne le remarqua pas. Je descendis, pensant à Ingrid, avec qui j'avais passé une partie de la nuit. J'avais de vagues souvenirs d'elle me grondant. Je n'espérais pas avoir laissé de mauvaises impressions.

Je cherchais Amaury pour lui parler d'Aria, lui rappeler qu'il ne la toucherait pas, comme je lui avais promis. Une surveillante me dit qu'il était au milieu du camp.

Le temps était clair aujourd'hui, mais le froid restait à la limite du supportable. Je regardais les Juifs travaillant dehors, hommes et femmes. Ces hommes et ces femmes qui avaient une vie, un travail. Peut-être certains étaient-ils bien placés avant. Et les voilà, vêtus de cette même tenue à rayures blanches et noires, l'uniforme du prisonnier. Tous au même niveau, sans diplômes, sans valeurs, réduits à leurs étoiles jaunes.

Je vis quelques enfants jouer, inconscients du destin qui les attendait. Amaury m'avait parlé de la solution finale, une phrase particulièrement difficile à entendre. J'ignorais si cela incluait des enfants innocents. Avant d'arriver ici, je n'avais pas réalisé les implications de la situation, obsédé que j'étais par ma carrière dans l'armée. Que pouvais-je y faire après tout ? J'étais Allemand, mon chef était Hitler. Mon devoir était de défendre mon pays.

Après avoir parcouru une partie du camp, je trouvai mon ami près de la ligne de chemin de fer.

— Ah, te voilà !

Il était entouré d'autres officiers, s'occupant du débarquement de nouveaux Juifs. Je saluai tout le monde d'un signe de tête.

— Alors, mon ami, pas trop la gueule de bois ?

— Un peu, rigolai-je en allumant une cigarette.

Il m'attira à l'écart.

— Tu as déconné hier, tu le sais ?

— Apparemment, oui.

— Hantz, tu sais que tu peux aller en prison pour ça ?

— Pour avoir fait une petite danse ?

— Ce n'est pas la danse, Hantz. C'est un manque de respect envers ta patrie. Au milieu d'une soirée comme ça, c'est interdit.

Ce n'était pas non plus un crime, pensais-je.

— Ok, ok ! J'ai compris ! Au fait, elle est venue nettoyer chez moi ce matin. Je lui avais donné un ordre, pas la peine de la châtier pour ça.

— Pardon ! Je lui avais dit de ne pas le faire pourtant ! Tu ne peux pas trouver une bonne à la place ? Tu veux peut-être la baiser aussi ?

Mais qu'est-ce qu'il lui prenait ?

— T'es vraiment jaloux, ma parole.

— Regarde, il y en a plein ici qui peuvent faire ta boniche ou ta putain. Mais par contre, sois discret, tu vois...

Il rigolait en me tapant sur l'épaule, et cela commençait à m'agacer. Puis, il attrapa une jeune femme qui descendait d'un wagon, la prit violemment par le bras et la plaça devant moi.

— Tiens, regarde celle-là ! Elle est belle, non ?

Elle était presque nue en haut, terrorisée. Tous les officiers riaient devant ce spectacle.

— Arrête ! C'est bon, laisse-la...

J'essayais de cacher mon mécontentement.

— L'alcool te rend ronchon, mon ami ! File ! dit-il en poussant la fille.

— Bon, tu as fini de m'emmerder ?

— Oui, j'ai fini. Alors, comment s'est passée ta soirée hier ? Ingrid t'a couché ?

— En effet, je ne me rappelle presque de rien. Je ne sais même pas si on a...

— Ah ah Hantz, Hantz ! Tu me fais rire, tu sais. Je l'ai vue ce matin. Elle m'a dit qu'il ne s'était rien passé, mais qu'elle voulait te reconquérir par tous les moyens.

— C'est quoi qu'elle n'a pas compris !

— Que veux-tu, elle s'accroche.

La journée passa rapidement. J'assistai à une réunion. Nous étions en train de perdre à Stalingrad, et Hitler avait ordonné aux troupes de se battre jusqu'à la fin pour garder la ville. Les résistants étaient partout. Je pressentais que ma permission n'allait pas tarder à être levée, vu les événements.

C'était l'heure du dîner, et j'avais une faim de loup. Je vis Aria, toujours au service, servant le vin. Quand ce fut mon tour, elle n'osait pas me regarder. Je lui lâchai un remerciement du bout des lèvres.

Nous ne mangions pas tous ensemble, seulement une dizaine de généraux et de lieutenants dans une autre salle. Amaury n'était pas là, ni le père d'Ingrid. La conversation tournait autour des mêmes sujets habituels. Aria était là, à servir et à débarrasser. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'arrivais pas à quitter des yeux cette Juive qui commençait dangereusement à m'intéresser.

— Qu'est-ce que vous en pensez ?

Un général me sortit de ma torpeur.

— Je ne savais absolument pas de quoi il parlait.

— De ?

— Voyons, Hantz ! Vous êtes dans les nuages ou quoi ? dit un autre homme.

— J'avoue que oui, vous savez, le champagne hier... rigolai-je.

— Ah ah ah, oui, c'est vrai qu'hier on a bien picolé !

— C'est ça... Alors de quoi parliez-vous ?

Il me demanda mon avis sur divers sujets. Je répondis de manière évasive, pas du tout passionné par la conversation. Trop occupé à observer chaque geste de cette Juive qui commençait à captiver mon attention.

Je suis tombée amoureuse de mon ennemi ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant