Mai 1942
Le soleil brillait haut dans le ciel, et une douce chaleur enveloppait l'air. C'était l'une de ces journées où, en temps normal, j'aurais pensé à me baigner dans la rivière avec Jade. Après une matinée de travail sous la chaleur, je pris une rapide douche avant de partir la retrouver. Je montai dans la voiture et ouvris les vitres, laissant l'odeur des fleurs printanières emplir l'habitacle.
Mais, malgré la douceur de l'air, une tension pesait lourdement sur la ville. À chaque coin de rue, des soldats allemands étaient postés, fusils à la main, surveillant chaque mouvement. Depuis l'occupation, rien n'était plus pareil. Les rumeurs couraient sur les lois toujours plus oppressantes, les arrestations nocturnes, et les camps dont on murmurait l'existence. Mais qu'est-ce que cela signifiait réellement ? Les lois imposées aux Juifs semblaient absurdes, inhumaines. Pourquoi ? Pour qui se prenaient-ils, ces Allemands, pour nous traiter comme des moins que rien ?
Je bouillonnais intérieurement à chaque fois que l'un d'eux me fixait de son regard froid et méprisant. Mon père me répétait de rester calme, de ne pas attirer l'attention. « Fais profil bas, Ezra », me disait-il, et je m'efforçais de l'écouter, même si tout en moi hurlait de révolte.
En arrivant devant la maison de Jade, je donnai un coup de klaxon. Elle sortit aussitôt, vêtue d'une robe fleurie qui lui allait à ravir.
— Bonjour, mon amour, dit-elle en souriant.
— Bonjour, toi, répondis-je, le sourire aux lèvres. Cette robe te va à merveille.
— C'est ta sœur qui me l'a confectionnée, fit-elle en tournant sur elle-même.
— Très jolie, comme toujours.
Elle se pencha pour déposer un baiser léger sur ma joue. Nous nous installâmes sous un grand arbre, en attendant Marc et Gia, nos amis. Jade déplia une grande couverture et me demanda d'aller chercher le panier dans la voiture. Elle avait préparé de quoi manger, comme elle le faisait si souvent. Je rapportai le panier et elle sortit une multitude de choses : du pain, du fromage, des fruits. Mais plus que la nourriture, ce qui me tentait vraiment, c'était elle.
Depuis que nous étions fiancés, Jade et moi avions décidé d'attendre le mariage pour consommer notre amour. C'était parfois difficile de résister à la tentation, mais j'étais prêt à attendre. Notre mariage était prévu pour le mois prochain, et je n'avais qu'une hâte : commencer notre vie ensemble, loin des préoccupations et des menaces qui planaient sur nous.
— J'espère que tu as faim, mon amour ? demanda-t-elle en déballant les provisions.
— Affamé, mais pas seulement pour la nourriture, lui répondis-je avec un clin d'œil.
Jade rougit légèrement, mais son sourire trahissait la même impatience que je ressentais. Nos amis finirent par arriver. Marc, mon meilleur ami d'enfance, était accompagné de Gia, sa petite amie italienne au caractère bien trempé. Nous les accueillîmes en riant.
— Vous en avez mis du temps, lançai-je à Marc.
— Mon père avait besoin de moi pour des affaires... importantes, répondit-il, le regard légèrement sombre.
Je savais que quelque chose n'allait pas. Marc me fit signe de le suivre un peu plus loin. Nous nous éloignâmes de l'arbre, mais il jetait des regards autour de lui, comme s'il craignait d'être écouté.
— Qu'est-ce qui se passe, Marc ? lui demandai-je, inquiet.
— De plus en plus de Juifs disparaissent, Ezra. J'en entends parler de partout. Ils sont arrêtés, emmenés, et on ne les revoit jamais.
Mon cœur se serra.
— Arrêtés par qui ? Les Allemands ?
— Oui. Mon père m'a dit qu'Hitler ne se contentera pas de nous faire porter un brassard ou de nous interdire l'accès aux parcs. Il veut nous envoyer dans des camps de travail... ou pire.
Je me figeai.
— Mais... comment peut-il faire ça ? Ce n'est pas légal !
— Légal ? répéta Marc, presque en chuchotant. Depuis quand ces lois sont-elles justes ? Ils ont le pouvoir, et personne ne les arrête.
Je sentais une sueur froide glisser le long de mon dos. J'essayais de paraître calme, mais mon esprit tournait en boucle. Ce que Marc disait me rappelait ces rumeurs terrifiantes que j'avais ignorées jusque-là.
— Tu penses qu'on pourrait être arrêtés, nous aussi ? demandai-je, la gorge serrée.
— Je ne sais pas, mais mon père m'a dit qu'il avait un plan. Si quelque chose arrive, tu en fais partie.
Je le regardai, abasourdi. Il y avait une part de réconfort dans ses mots, mais l'idée même qu'il puisse y avoir un « plan » pour échapper à une telle horreur m'effrayait.
Nous rejoignîmes les filles, qui riaient sans se douter de la gravité de notre conversation. Marc, voyant Gia se plaindre qu'il discutait en secret, la prit sur ses épaules et courut vers la rivière, la jetant dans l'eau froide sous ses cris d'indignation. Nous éclatâmes de rire, essayant de nous détendre, mais mes pensées étaient déjà loin, embrouillées par les révélations de Marc.
Après cette journée, je raccompagnai Jade chez elle. Elle semblait fatiguée, et je ne la pressai pas de nous revoir avant le lendemain. Sur le chemin du retour, une boule d'angoisse s'installa dans ma poitrine.
Quand j'arrivai devant la maison, un malaise s'empara de moi. La porte d'entrée était entrouverte. Je coupai le moteur et sortis, scrutant l'extérieur, mais tout semblait calme. Je poussai la porte, mon regard se posant immédiatement sur des traces de bottes boueuses qui souillaient le sol. Le salon était sens dessus dessous. Des meubles renversés, des papiers éparpillés partout. Mon cœur accéléra.
— Maman ? Papa ? Aria ? criai-je, mais personne ne répondit.
Je courus à travers la maison, cherchant des signes de vie. Mais partout où je passais, le silence était assourdissant. Ils étaient partis. Enlevés. Je tombai à genoux dans le salon, mes mains tremblantes, tentant de comprendre ce qui s'était passé.
C'est alors que je vis un morceau de papier plié sur la table. Je l'ouvris d'un geste fébrile. L'écriture de ma mère.
Mon chéri,
Ils nous ont emmenés, Aria et moi. Nous allons rejoindre ton père... quelque part. Je t'en supplie, ne nous cherche pas. Sauve-toi. Sois prudent. Nous ne savons pas ce qui va arriver. Je t'aime de tout mon cœur,
Maman.Je relus ces mots encore et encore, incapable de comprendre. Je laissai tomber le mot et mis ma tête entre mes mains. Ils étaient partis. Emmenés... Je ne savais où. Les larmes que je retenais jusque-là finirent par couler.
Je ne pris même pas le temps de réfléchir. Je montai dans la voiture et conduisis à toute vitesse jusqu'à la maison de Marc. Lorsque sa mère ouvrit la porte, je n'attendis même pas qu'elle me parle. Je courus jusqu'à sa chambre.
— Marc, ils... ils ont pris ma famille ! Tu avais raison !
Marc se leva, pâle.
— Calme-toi, Ezra. On va trouver une solution. Mon père... il saura quoi faire.
Mais même dans sa voix, je pouvais entendre la panique. Il n'était pas sûr de lui, et moi non plus.
Je me laissai tomber contre le mur, les jambes tremblantes. Il ne me restait plus qu'à attendre, à espérer. Et dans ce silence, je ne pouvais que pleurer.
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Je suis tombée amoureuse de mon ennemi ...
Historical FictionJ'ai essayé de résister. Mais rien à faire il m'avait envoûtée. Malgré nos différences, malgré la haine que je devais avoir à son égard. Il n'en était rien. Je l'aimais il m'aimait. Il était le paradis dans mon enfer. un amour interdit dans un décor...