Chapitre 32

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Ingrid était partie chercher des bandages pour ma main blessée. Dans un excès de colère, j'avais bien abîmé le mur. Je fis les cent pas dans l'appartement, réfléchissant à ce que je venais d'accepter. Me fiancer avec Ingrid était bien la dernière chose qui aurait pu m'arriver aujourd'hui. J'imaginais la douleur et la peur d'Aria, ce qu'elle avait dû ressentir en assistant à la scène. Je ne lui avais accordé aucun regard, m'efforçant de calmer Ingrid par tous les moyens. J'avais menti, lui disant de ne rien ressentir pour Aria, et j'avais accepté son compromis pour qu'elle ait la vie sauve, sauvant ma peau par la même occasion.

Que devais-je dire quand Ingrid serait de retour avec les bandages ? Elle allait sans doute me questionner sur Aria. Je ne pensais pas qu'elle soit vraiment convaincue que mon étreinte avec elle n'était que chevaleresque. Comment pouvait-on ressentir autant d'émotions à la fois ? J'étais partagé entre la peur, la colère, la tristesse, le désespoir et l'amour. L'amour était à l'origine de ce mauvais mélange.

— C'est bon, j'ai trouvé ce qu'il faut, annonça Ingrid en franchissant la porte.

Je ne disais rien alors qu'elle bandait ma main.

— Tu as l'air agacé, me dit-elle.

— J'ai de quoi.

— Ah oui... et moi alors ?

— Ne recommence pas, s'il te plaît, soupirai-je.

— Que je recommence quoi ?

— Laisse tomber.

— J'ai souffert, Hantz. J'attendais ton retour tous les jours. Et toi, tu passes une nuit avec moi et hop, tu me quittes. Que crois-tu que j'ai ressenti ?

— De la peine.

— C'était bien plus que ça ! Tu te rappelles tout ce qu'on a vécu, toi et moi ? Ne me dis pas que tu as déjà oublié !

— Ce n'est pas le cas.

— Dans un couple, il y a des hauts et des bas. Tu crois que dès qu'un doute s'installe, c'est fini ? Ça ne marche pas comme ça.

Elle versa une larme, alors je l'enveloppai dans mes bras, sincère cette fois. Dans un sens, elle avait raison. J'étais partagé entre mes sentiments pour Aria et mon devoir envers Ingrid.

Elle coupa l'excès de bande et commença à parler de nos futures fiançailles. Je me levai pour prendre un verre.

— J'ai hâte de l'annoncer à mes amies. Et à mon père ! Oh Hantz, il va être si heureux.

Fallait-il qu'elle montre autant son contentement ? Je m'efforçai d'afficher un semblant d'enthousiasme.

— Il sera ravi, dis-je simplement.

— Quand à maman !

Je me servis un deuxième verre et l'enfilai d'un coup sec. Elle continuait à parler de la fête qu'elle voulait organiser, mais je n'étais qu'à moitié présent. Mes pensées étaient accaparées par Aria. Peut-être avait-elle raison, cela serait sans doute compliqué si nous décidions de fuir. Ils enverraient quelqu'un à notre poursuite, peut-être même toute une équipe à travers le pays. Ensuite, je serais jugé pour haute trahison. Et Aria... Je frissonnai à cette pensée.

— Oh hé !? Tu m'entends ?

— Oui.

Je ne savais même plus de quoi elle parlait.

— Cette semaine ?

— Quoi, cette semaine ?

— Organiser une fête.

Je n'avais aucune envie de faire ça, aucune envie de me fiancer, d'être seulement avec elle. Et encore moins de fêter cela.

— Tu penses vraiment que c'est nécessaire ?

— Bien sûr que c'est nécessaire. Ce sont des fiançailles ! Tu n'as pas l'air très emballé, Hantz ! Si tu n'y mets pas un peu du tien, comment veux-tu que ça se passe bien ? Moi, je suis prête à tout, parce que je t'aime.

Il fallait que je montre un peu plus d'enthousiasme.

— Bien, Ingrid.

— Avec un sourire, c'est possible ?

Je pris sur moi et lui souris de toutes mes dents. Elle m'embrassa furtivement.

— Bien, allons l'annoncer à papa.

Comme prévu, le père d'Ingrid était aux anges. Il embrassa sa fille chérie, puis me donna une accolade pour me féliciter. J'étais plus qu'irrité à devoir faire bonne figure.

— Nous avons qu'à faire cela samedi. Il y aura du monde, beaucoup de monde. Vous pourrez faire venir votre famille, Hantz, me dit-il.

Je n'étais pas contre l'idée de revoir ma mère, ma sœur et les petits.

— Je leur ferai part d'une invitation, dit Ingrid. Ça te ferait plaisir ?

— Oui, répondis-je.

Je devrais jouer aussi la comédie devant eux, cela serait compliqué. Ils me connaissaient trop bien.

— Parfait ! Et puis, quand cette guerre sera finie, nous envisagerons le mariage. Un grand mariage !

Il me gratifia d'une tape dans l'épaule en disant cela. Ingrid avait le regard pétillant.

— Vous déjeunez avec nous, les tourtereaux ?

Je n'avais absolument pas faim.

— Merci, mais je n'ai pas très faim.

Ingrid me jeta un regard insistant. Je le soutenais, ne voulant pas coopérer.

— Moi, je meurs de faim, papa.

— Vous ne voulez vraiment pas nous rejoindre, Hantz ?

— Non, ça ira, merci.

— J'espère que vous êtes d'attaque pour le treize.

Il faisait allusion à la liquidation du ghetto.

— Oui, je suis prêt.

— Bien. Allons-y, Ingrid, mon estomac crie famine.

— Bon appétit.

Je retournai chez moi pour fumer une cigarette. J'étais tellement... perdu, que je ne savais même plus ce que je ressentais. J'en avais marre, marre de toutes ces barrières qui s'étaient installées dans ma vie. Je passai le reste de ma journée seul chez moi, sans voir personne. Que devait faire Aria à cette heure-ci ? Elle devait avoir fini son travail. Je mourrais d'envie d'aller la voir. Elle devait être anéantie après toutes ces épreuves des derniers jours, et je n'étais pas là pour essayer de la consoler. J'avais rattrapé un peu la situation entre nous deux, mais je ne savais pas vraiment ce qu'elle en pensait.

J'avais peur. Peur d'aller la retrouver. Maintenant, nous serions sans doute surveillés comme le lait sur le feu. Si seulement je pouvais me déconnecter et ne plus penser à tout ça. J'allais sûrement passer la nuit blanche, alors je pris un livre au hasard dans la bibliothèque. Je tombai sur l'Iliade d'Homère ; c'était parfait pour passer cette nuit qui s'annonçait très longue.

Je suis tombée amoureuse de mon ennemi ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant