Chapitre 30

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J'avais le cœur battant en entendant sa voix me dire d'entrer. J'avançais avec mon chariot sans oser le regarder, focalisée sur ma tâche. Une odeur de cigarette planait dans l'air. Je sortis le plateau et commençai à y disposer le café, les croissants chauds, les fruits.

— Anna va bien.

Mon cœur se serra. Je pris une grande respiration pour ne pas craquer.

— Aria, regarde-moi.

À contrecœur, je levai enfin les yeux. Je luttais contre les larmes, essayant de rester forte.

— Je suis allé la voir. Je sais pourquoi Amaury a fait ça. Il est...

Je l'interrompis, ma voix tremblant sous la colère.

— Abominable, cruel, inhumain. Oh, et bien sûr, allemand.

Il s'approcha, mais je fis un pas en arrière.

— Ne fais pas ça, je t'en prie, dit-il, visiblement désespéré.

— Ne fais pas quoi, Hantz ?

— Ne m'en veux pas. Même si tu as toutes les raisons du monde de le faire. Je suis tellement...

— Désolé ? Tu es désolé que mon amie soit morte ? Eh bien, ça ne la ramènera pas. Ça n'effacera pas ma souffrance. Ma colère...

Il me fixa, bouleversé.

— Tu es en colère contre moi ?

— Je suis surtout en colère contre moi. C'est à cause de moi, de nous, qu'Amaury me torture. Il aurait dû me frapper, me tuer, mais non... Il a préféré tuer Nina.

Hantz passait nerveusement la main dans ses cheveux, incapable de rester immobile.

— Qu'est-ce que je peux faire ? Dis-le-moi. Je ne peux plus me passer de toi, Aria.

Je pris une grande inspiration avant de répondre, la voix froide.

— J'ai vu une fille ce matin, elle parlait de toi. Elle était avec Amaury la nuit dernière, n'est-ce pas ?

Il fut pris au dépourvu par ma question.

— Tu ne comprends pas, répliqua-t-il, défensif. Je ne peux pas laisser le moindre doute à Amaury. Il sait qui je suis, si je changeais d'attitude...

— Alors, tu couches avec une autre femme ? Pour te protéger ? C'est ça, ta solution ?

— Tu ne vois pas, Aria, je fais ça pour te protéger. Amaury a des doutes. Je ne veux pas qu'il te fasse du mal.

— Et moi, je devrais accepter ça, rester à l'écart, risquer ma vie et la tienne ? On était condamnés dès le début, Hantz. Ça ne pouvait jamais marcher.

— Alors, c'est ça que tu veux ? Que je choisisse entre toi et Amaury ?

— Je n'ai jamais dit ça.

— Alors dis-le-moi, Aria, dis-moi ce que tu veux !

— Ce que je veux ? Je veux partir d'ici, je veux que cette guerre soit finie. Je veux être avec toi dans une petite maison, sans cette peur constante. Je veux retrouver ma famille. Mais surtout, je ne veux pas risquer une autre vie, et encore moins la tienne.

Il sembla désemparé.

— Alors tu ne me détestes pas ?

Je sentis mon cœur se serrer.

— Je croyais pouvoir te haïr, mais je n'y arrive pas, Hantz.

Il tenta de se rapprocher de moi. Je restai immobile, le laissant prendre mes mains. Il les porta à ses lèvres, les embrassant doucement. Mon cœur battait à tout rompre, mais je me maîtrisai.

— Aria...

Je fermai les yeux un instant, laissant la chaleur de ce contact me traverser, puis je retirai mes mains.

— Je dois y aller.

— Reste, mange avec moi.

Je repensai à notre première rencontre. Qui aurait imaginé que nous en serions là ?

— Non, j'ai des choses à faire.

— On pourrait s'enfuir, Aria. Toi et moi.

Je le regardai, surprise.

— S'enfuir ? Tu es fou.

— Fou de toi. Je veux cette maison avec toi. Je ne peux pas te rendre ta famille, mais je peux te donner ta liberté. En Suisse, ou même en Amérique.

— Hantz, sois réaliste. Ils ne nous laisseront jamais tranquilles. Tu es un lieutenant nazi. Tu penses vraiment qu'on pourrait fuir ensemble sans être traqués ?

— Je peux te trouver de faux papiers. On pourrait y arriver, Aria.

Je posai doucement un doigt sur ses lèvres.

— Arrête. On ne peut pas. Ils te traqueraient, Hantz. Ils te feraient payer cher. Un officier SS qui s'enfuit avec une Juive ? C'est impensable.

— Tu es trop pessimiste, sourit-il.

Je ne pus m'empêcher de sourire malgré moi.

— Comment ne pas l'être ici ?

Il fronça les sourcils, irrité.

— Alors c'est ça, c'est fini ? On arrête parce que c'est trop dangereux ?

— Oui. C'est mieux ainsi.

Les mots me déchirèrent de l'intérieur.

— Alors je ne pourrai plus t'embrasser, te toucher, te tenir dans mes bras ? Seulement te regarder, mourir d'envie comme la première fois que je t'ai vue ?

Mon cœur se brisa à l'entendre.

— Dis-toi seulement que tu ne seras pas le seul à ressentir ça.

Il m'attira dans ses bras. Je me laissai aller, savourant cette dernière étreinte, comme si le monde pouvait s'arrêter là. Il déposa un baiser sur mon cou, puis sur mes lèvres. J'aurais voulu que ce moment dure éternellement.

Et puis, soudain, la porte s'ouvrit.

Notre étreinte se figea, nos regards se tournèrent vers la porte.

Quelqu'un venait d'entrer.

Je suis tombée amoureuse de mon ennemi ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant