Chapitre 23 : les choses avances

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Après le film, nous décidâmes d'emmener les filles manger. J'étais plutôt distrait, perdu dans mes pensées.

— Je me demande quand cessera enfin cette guerre... dit Charlotte, rompant le silence.

— Quand nous les aurons tous écrasés ! répondit fièrement Amaury, sa voix empreinte d'une arrogance que je ne supportais plus.

— Une chose est sûre, je suis bien contente qu'on se débarrasse de ces sales juifs ! s'exclama-t-elle, son ton plein de conviction.

— Charlotte ! s'indigna Francine, visiblement choquée.

— Quoi ! Je ne les aime pas, c'est tout.

— Ils ne t'ont rien fait, répondit Francine, les yeux écarquillés.

— Peut-être bien, mais bon, c'est comme ça, conclut Charlotte avec désinvolture.

Francine roula des yeux, et moi aussi. Cette conversation ne m'intéressait guère. Mon esprit était accaparé par une multitude de préoccupations. Je jetai un coup d'œil à ma montre ; l'heure ne passait pas.

— Hantz ? Hé ho !!! m'appela Amaury, tirant sur mon bras pour me sortir de mes pensées.

— Oui ? répondis-je distraitement.

— Qu'est-ce que tu as, bordel ? Tu n'as pas dit un mot depuis qu'on est sortis.

Il me fit signe en direction de Charlotte, l'air de dire : Allez, vas-y, attaque ! Qu'est-ce que tu attends ?

— Alors, Charlotte, tu n'as pas de fiancé ? tentai-je d'engager la conversation.

— Non... répondit-elle timidement, le regard baissé.

— Ah, bah ça tombe bien ! Hantz est célibataire aussi, ajouta Amaury en enlaçant Francine par le cou.

— Effectivement, ça tombe bien, répliqua Charlotte, les joues teintées de rouge.

— Bon je vais régler l'addition, si on aller faire un tour au parc pour digérer, proposa Amaury, l'air enthousiaste.

Il paya l'addition puis passa devant nous avec Francine, déjà tout épris l'un de l'autre. Charlotte marchait à mes côtés, visiblement gênée. Je brisai le silence.

— Le film t'a plu ?

— Oui, oui, j'ai adoré. Et toi ?

— C'était un bon film, dis-je en essayant de lui sourire.

Elle continuait à regarder ses pieds pour répondre.

— Comment se fait-il qu'une jolie fille comme toi n'ait pas de fiancé ?

— Je, je... j'en sais rien. Et toi ?

— Je sors d'une relation, mais c'est du passé maintenant.

J'attendis qu'elle relance la conversation, mais elle continuait à éviter mon regard, répondant par des oui ou non. À quelques pas, je voyais Amaury et Francine chahuter, s'embrasser. Charlotte n'était pas très distrayante. Avant, je me serais moqué de l'absence d'intérêt d'une fille, tant qu'elle était jolie, mais aujourd'hui, je ne comprenais pas pourquoi je n'étais pas emballé.

Après un tour de parc, plutôt ennuyeux pour moi, nous rentrâmes enfin. Nous déposâmes les demoiselles chez elles, puis regagnâmes le camp. Là, une réunion nous attendait cela devait être important vue l'heure tardive. Le père d'Ingrid était présent, ainsi que d'autres généraux.

— Ah ! Hantz... venez par ici, lança le père d'Ingrid.

— Amaury, vous aussi, venez, ajouta-t-il.

— Le quartier de Cracovie va devoir être liquidé, annonça un général.

— Nous avons besoin de quelqu'un pour diriger l'opération, ajouta un autre.

Tous les regards se tournèrent vers moi.

— Vous, Hantz. Vous semblez être le meilleur pour diriger cette opération.

L'image d'Aria me revint en mémoire. Est-ce que je lui avais vraiment dit que je n'avais jamais tué de juifs ? Je craignais de devoir rompre une promesse de nouveau.

— Liquidé ? Que voulez-vous dire par là ? demandai-je, feignant l'ignorance.

— Voyons, Hantz ! Ne faites pas l'ignorant. Le Führer a dit qu'il fallait tous les exterminer et le plus vite sera le mieux.

— C'est que je n'ai jamais mené ce genre d'opération. Ce n'est pas vraiment mon dada, tentai-je de plaisanter, espérant échapper à cette mission.

— Il faut un début à tout ! me répondit le père d'Ingrid sur un ton autoritaire. Vous aussi, Amaury, vous participerez, on a besoin d'élément comme vous pour ce genre de mission.

— J'ai hâte ! répondit-il, l'enthousiasme et la hargne dans sa voix.

Les juifs n'avaient aucune chance, si j'avais bien compris. Une angoisse soudaine me noua le ventre. Aria non plus ne pourrait donc pas s'en sortir si cette guerre ne se terminait pas, puisque le Führer voulait tous les exterminer sans exception. Je n'avais aucune envie d'aller à Cracovie, aucune envie de pourchasser des femmes, des enfants, des vieillards. Car aucun ne devrait être épargné.

— Il n'y a pas possibilité d'aller au front russe à la place ? demandai-je, tentant une dernière fois de me dérober.

— Vous aimez risquer votre vie, il semblerait, Hantz. La liquidation débutera en mars. Nous attendons d'avoir plus de précisions pour fixer une date. Vous pouvez disposer.

Ma journée était définitivement gâchée. Amaury, lui, était aux anges. Je pris la direction de ma chambre, complètement angoissé et désespéré. Je me servis un double whisky et allumai une cigarette, j'allais sans doute finir alcoolique. Je m'étais épris d'une juive qui allait sans doute être tuée. Moi qui voulais plus ou moins lui prouver que je n'étais pas comme mes semblables, voilà que je devais assassiner les siens. Même sans elle, je n'étais pas enchanté à l'idée de tuer des innocents. Ah, Aria... pourquoi as-tu croisé mon chemin ? me dis-je à moi-même.

Après plusieurs verres, mes yeux se posèrent sur un morceau de papier plié devant ma porte d'entrée. Je ne savais pas si c'était l'alcool qui me jouait des tours, mais j'avançai d'un pas prudent pour ne pas tomber complètement ivre et le ramassai. Mon nom était inscrit sur le revers. Je le dépliai soigneusement pour en lire le contenu.

    « Je ne sais pas vraiment par où commencer.
      Vous écrire une lettre comme ça me semble
      pas très sage. Mais je ne voyais pas d'autre
      façon de vous dire cela. Je vous trouve
      différent, non seulement de vos semblables,
      mais aussi des peu de garçons que j'ai connus.
      J'ai bien essayé de vous détester, mais en vain.
      Et maintenant, j'essaie de ne plus penser à vous
     et à ce que vous m'avez dit, mais en vain aussi.
      Je ne sais pas pourquoi je vous dis ça,
      ni à quoi cela mènera. Je tenais aussi à vous
      remercier pour votre gentillesse.
      Voilà, c'est tout »

Je relus cette lettre près de vingt fois, n'étant pas sûr si c'était l'alcool qui m'aveuglait ou si c'était vraiment une lettre d'Aria. Elle n'était pas signée, mais qui d'autre aurait pu écrire ça ? Mon cœur battait fort dans ma poitrine. Elle pensait à moi. Comme je pensais à elle. J'avais envie de la retrouver dans sa petite chambre. Mais j'étais soûl, bien trop soûl. Demain, oui demain, je lui parlerais. Je m'effondrai sur mon lit, le mot d'Aria sur mon cœur d'homme désemparé, ivre, et peut-être même amoureux.

Je suis tombée amoureuse de mon ennemi ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant