Chapitre 4

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TOC... TOC...

— Entrez, dit Hantz en sortant de la pièce en uniforme.

— Voici le déjeuner.

— Posez ça sur la table basse.

Sous les cloches, je me demandais ce qu'elles pouvaient contenir. Puis, des couverts en argent et des assiettes en porcelaine apparurent. Du pain, des fruits, du vin... Mon estomac gargouillait à la vue de toute cette nourriture.

— Autre chose, Lieutenant ?

— Ça ira, merci.

Il s'assit en face de moi sur le canapé.

— Du vin ?

Quoi dire, quoi faire ? Je ne pouvais pas vraiment être naturelle. Ils étaient tellement imprévisibles.

— Tu n'auras peut-être plus jamais l'occasion de déjeuner ainsi. Un conseil : fais-toi plaisir.

— Je veux bien, merci.

Il prit un verre en cristal et y versa le vin. Je n'étais pas une grande buveuse, mais mon père sortait une bonne bouteille pour les occasions spéciales. Il me tendit le verre.

— Alors... Voyons ce qu'il y a de bon, dit-il en soulevant les cloches.

Depuis combien de temps n'avais-je pas vu de la nourriture aussi appétissante ?

— Ah, du poulet, j'adore ça. Tu aimes le poulet ?

— En ce moment, j'aime n'importe quoi.

Il souleva une autre cloche. Hum... L'odeur envahit mes narines. De la purée. Quelle coïncidence, c'est justement ce que je rêvais de manger. Il prit une assiette et y déposa une cuisse de poulet et un morceau de blanc bien rôti, accompagné d'une louche de purée.

— Tiens, prends du pain.

— Merci.

Je pris des couverts et un morceau de pain. Lui aussi se servit, s'appropriant presque la moitié du poulet et de la purée.
Sans attendre, j'enfournai une bouchée. Mon dieu ! Cela faisait plus de huit mois que je n'avais pas goûté de la viande. Je fermai les yeux pour savourer chaque instant. Ici, je ne mangeais que de la soupe — enfin, si on pouvait appeler cela une soupe. Simplement de l'eau salée avec des morceaux de pain rassis.
Je pris une deuxième bouchée. J'ouvris les yeux, la bouche pleine, et le vis me regarder amusé.
Je pris immédiatement une serviette pour m'essuyer la bouche.

— Pourquoi faites-vous cela ? demandai-je une fois ma bouchée avalée.

— Pourquoi je fais quoi ?

Je voulais lui demander pourquoi il me donnait à manger, pourquoi il tuait des gens, pourquoi il participait à tout ça.

— Pourquoi nous mettez-vous dans des camps ?

— Je ne vous ai jamais mis dans un camp.

— Pourtant, vous êtes là.

Il posa son assiette pour boire une gorgée de vin.

— Je suis les ordres qu'on me donne.

— Et vous n'avez pas le choix, c'est ça ?

— Toi, tu n'as pas ta langue dans ta poche, on dirait. Comme je te l'ai déjà dit, si tu t'adressais ainsi à une autre personne, tu aurais déjà reçu une bonne leçon.

— Et vous, vous ne le faites pas ? Êtes-vous différent des autres Allemands ?

— Ce n'est pas parce que je suis sous les ordres du Führer que je suis d'accord avec lui sur tous les points.

— C'est-à-dire ?

— Eh bien, je ne comprends pas pourquoi il en a après vous... Enfin, je comprends, mais je ne l'accepte pas.

— Ah, vous comprenez !

Il me mettait hors de moi. Il comprenait ! Il comprenait qu'on nous traite comme des chiens. D'ailleurs, même les chiens étaient mieux traités que nous.

— J'en ai assez pour aujourd'hui. Retourne à tes petites occupations. Et un conseil : assagis-toi, car si tu continues ainsi, tu ne finiras sans doute pas le mois.

Je me levai, furieuse, et me dirigeai vers la porte. Il me suivit.

— Accompagnez-la jusqu'à l'atelier de couture, dit-il à un garde.

Arrivée à mon poste de travail, Sarah me regardait, intriguée. Je me mis aussitôt à la tâche.
Après avoir terminé, nous avions droit à une douche. Dans la file d'attente, Sarah me demanda :

— Alors, où étais-tu pendant tout ce temps ?

— Je lui ai apporté son costume. Si tu voyais où ils habitent... Je n'arrive pas à croire qu'ils aient autant de confort, alors que nous sommes si misérables ici.

— Ce sont des Allemands, Aria, et nous, des Juifs.

— Je suis entrée dans ses appartements. Il était avec un de ses collègues. Ils ont plaisanté de façon mesquine à mon sujet. Puis, il a essayé le costume. Il lui allait parfaitement.

— Et ? Tu es partie au moins deux heures.

— Et... Il m'a donné de quoi manger.

— Sérieux ? Comment ça se fait ?

— Je ne sais pas. Il m'a demandé si j'avais faim. Je n'osais pas lui répondre. Puis il a insisté : "Tu as faim, oui ou non ?"

— Je devine ta réponse. Tu as mangé quoi ?

— Du poulet et de la purée. Il m'a même offert un verre de vin, tu te rends compte ?

— T'es sûre que c'était un nazi...

— Oui, en plus, il est haut gradé. Il avait plein de médailles et tout. Par contre, l'autre homme, le genre "armoire à glace", avait un de ces regards... Je te jure, il m'a fait froid dans le dos.

— Ah, du poulet... Quelle chance...

Nous voilà toutes nues dans les douches. Étant pudique, la première fois avait été un supplice. Toutes ces femmes autour de moi, c'était vraiment gênant. Enfin, comme tout ici, on s'accommodait vite. Malgré la froideur de l'eau, j'appréciais vraiment ce moment.
Je regardais les corps autour de moi.
Pour la plupart, des corps squelettiques.
On voyait les os transparaître à travers la peau de quasiment toutes. C'était terrible.

De retour aux baraquements, je m'installai sur mon lit. Des femmes toussaient à pleins poumons, et cela durait toute la nuit.
Les premiers jours après mon arrivée, je n'avais pas fermé l'œil pendant au moins une semaine. Mais après cette semaine, je m'effondrais directement. Mon corps était à bout de forces, mais je continuais avec les dernières qui me restaient. Beaucoup avaient déjà succombé ; cela arrivait presque tous les jours. Je ne me liais pas d'amitié avec les autres. Je ne voulais pas être triste quand l'une d'entre elles mourrait, ce qui arriverait un jour ou l'autre, à cause de l'épuisement.
Déjà, si quelque chose arrivait à Sarah ou à Nina, je ne le supporterais pas. Alors, je me contentais de leur compagnie. J'avais déjà assez souffert de la perte des gens que j'aimais. Je ne voulais plus jamais revivre cela. Plus jamais.

Je suis tombée amoureuse de mon ennemi ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant