Chapitre 13

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De retour en cuisine, il fallait tout préparer pour la soirée prévue. Toutes les filles étaient déjà à la tâche, et moi, je devais encore m'occuper de dresser la table avec Sephora et Anna. C'étaient des filles plutôt gentilles, amies d'enfance, inséparables. En plaçant les assiettes, je remarquai un orchestre s'installer sur l'estrade. Peut-être aurai-je l'occasion de l'écouter ce soir, un peu de musique me ferait du bien, même dans ce monde déformé par la haine.

Il était près de dix-neuf heures, et la salle se remplissait. Les invités discutaient, riaient, fumaient des cigares, buvaient du champagne, comme si rien de tout cela n'était étrange, comme si de l'autre côté des murs, la misère n'existait pas. L'orchestre avait commencé à jouer, et malgré moi, je fus absorbée par la mélodie. La musique, les livres, c'était ma grande histoire d'amour, mon échappatoire.

Je fis le tour de la salle, plateau d'amuse-bouches à la main. J'en attrapai un discrètement, l'enfournant dans ma bouche avant que quelqu'un ne s'en rende compte. Les hommes étaient en smoking, les femmes dans de sublimes robes de soirée. Ils semblaient si insouciants, heureux, loin de notre monde où la faim et la douleur nous accompagnaient à chaque instant. Ils festoyaient alors que des enfants mouraient. Comment pouvaient-ils être aussi cruels, aussi dénués de cœur ? Une haine sourde me montait à la gorge à chaque rire que j'entendais.

En retournant vers la cuisine, je l'aperçus, descendant les escaliers. Hantz, dans ce smoking que j'avais moi-même ajusté. Nos regards se croisèrent, et je retins mon souffle alors qu'il s'avançait vers moi.

— Bonsoir, Aria.

— Bonsoir, dis-je, le plateau toujours en main.

— Tu es de service ce soir ?

— Oui, quand je ne suis pas aux ordres du lieutenant Wien, je m'occupe à la cuisine et à servir.

— Tu as participé à la préparation du repas ?

— Seulement au dessert.

Une surveillante nous observait avec suspicion, je sentais son regard brûler notre échange.

— Demain, j'aimerais que tu t'occupes de mes appartements... et bien sûr, de mon lit.

— Vous l'avez prévenu ?

— Je le ferai.

Allait-il vraiment le faire ou cherchait-il simplement à me piéger ? Je ne pouvais jamais savoir jusqu'où irait leur sadisme, mais Hantz, lui, n'avait jamais été malveillant envers moi, malgré ses demandes ambiguës.

— Ai-je vraiment le choix ? dis-je d'une voix résignée.

Il esquissa un sourire, puis se détourna pour rejoindre la fête.

— Tiens, prends le vin pour le servir, dit Michelle, me tendant une bouteille.

Je m'exécutai, portant le vin aux tables. Les invités étaient maintenant installés, la musique devenait plus douce. Je servais un par un ces hommes qui festoyaient sans remords, sans conscience. Amaury et Hantz étaient assis côte à côte. Soudain, je vis le visage de Hantz se décomposer. Suivant son regard, je vis deux femmes entrer dans la salle, une blonde et une rousse, toutes deux vêtues avec une élégance qui me fit presque jalouser leur allure.

La blonde portait une robe en velours noir, fendue jusqu'à la cuisse, son visage encadré par un chignon volumineux et une petite voilette qui cachait son regard bleu perçant. La rousse, elle, arborait une robe en satin noir avec de la dentelle, ses boucles entourant délicatement son visage. Je ne mis pas longtemps à comprendre : c'était Ingrid, et vu la réaction de Hantz, leur présence n'était pas anodine.

Le repas terminé, les boches commencèrent à festoyer plus bruyamment. Leurs visages rougis par l'alcool, ils riaient, dansaient, ivres de bonheur et d'ignorance. Je continuais à servir, plateaux en main, me glissant entre eux sans être vue. Amaury parlait avec la blonde, essayant visiblement de la réconforter. Tout autour de moi, les corps se mouvaient, désinhibés par l'alcool. Je me sentais invisible, une simple ombre au milieu de leur joie débridée.

— Je les hais, me dit Michelle en se plaçant à côté de moi. Regarde-les, ils me répugnent.

— J'ai une idée, ajouta-t-elle, un sourire malicieux sur les lèvres.

Elle m'entraîna vers un endroit que je ne connaissais pas. En chemin, nous croisions une surveillante.

— Qu'est-ce que vous faites ?

— On va chercher du champagne, répondit Michelle avec aplomb.

— Ne traînez pas, dit la surveillante avant de s'éloigner.

— Mais il en reste en cuisine, dis-je, paniquée.

— Il va en manquer, et puis... on va siffler une bouteille.

— Quoi ?! Mais t'es folle si on...

Michelle posa un doigt sur mes lèvres, me coupant dans ma protestation. Sans attendre, nous entrâmes dans une cave pleine de bouteilles.

— Prends ces deux caisses, dit-elle en ouvrant une bouteille.

Elle but une longue gorgée, avant de me tendre la bouteille. J'hésitai, puis je cédai. En quelques gorgées, la bouteille fut vidée, et je sentis l'alcool monter rapidement à ma tête.

Nous remontâmes discrètement, et une fois de retour dans la salle, la fête battait son plein. Tout le monde dansait. Je me mis à ramasser les verres sales quand je sentis une main m'attraper brusquement.

— Danse avec moi ! ordonna Hantz, visiblement ivre.

Il me prit le plateau des mains et m'attira contre lui. Je tentai de résister, mais mes forces me manquaient, l'alcool m'ayant rendue trop légère, trop docile.

— Une petite danse avec moi, ce n'est pas si terrible, non ?

Je ne comprenais pas son comportement. Il me fit tourner, et soudain, je remarquai la blonde, Ingrid, nous regardant, furieuse. C'était mauvais, très mauvais.

— Tu sais que tu es très belle, Aria, murmura-t-il, son haleine chargée de vodka mentholée.

Avant que je ne puisse réagir, je fus violemment repoussée en arrière. Amaury se tenait là, furieux.

— T'as perdu la tête ou quoi ?! cria-t-il à Hantz.

— T'es jaloux ! répliqua Hantz, hilare.

— T'es saoul comme un cochon... Si quelqu'un te surprenait à faire ça, tu sais ce que tu risques ? Si tu veux te la faire, sois plus discret au moins !

Hantz éclata de rire, mais Amaury n'était pas amusé. Il se tourna brusquement vers moi, m'agrippant le visage violemment.

— J'en ai pas fini avec toi, petite traînée, cracha-t-il.

Puis, il traîna Hantz dehors, sans doute pour le faire décuver.

La blonde, Ingrid, me fixait toujours, le regard noir. Elle m'effrayait. Les femmes ici étaient parfois plus cruelles que les hommes. L'euphorie de l'alcool s'évapora d'un coup, laissant place à une terreur sourde. Mais personne d'autre n'avait remarqué la scène. Je repris mon travail comme si de rien n'était, sous son regard pesant. Quelques instants plus tard, elle sortit à son tour, probablement pour les rejoindre. C'était sûr maintenant, c'était bien Ingrid.

Je suis tombée amoureuse de mon ennemi ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant