Chapitre 16

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- ALIX -

Les autres me lancent des regards supérieurs avant de partir dans un grand éclat de rire. Puis, alors que je pense que les choses ne peuvent pas être pires, la situation dégénére. Des pots de peinture volent et finissent leurs courses sur ma toile, des bocaux contenant de l'eau servant à rincer les pinceaux sont lancés et pendant ce temps-là, je suis huée.
Je regarde tout autour de moi en quête d'aide mais la prof détourne les yeux alors que son corps se tend - elle semble mobiliser toutes ses forces pour éviter d'intervenir - et les boursiers détourne les yeux sitôt que j'ai croisé leurs regards.
Je suis seule. Complètement seule.
Pour un peu, j'aurais presque envie de rire. Un rire amer qui me reste finalement en travers de la gorge.
Seule.
Je ne peux même plus compter sur mes camarades pour limiter la casse. En même temps, à quoi je m'attendais ? Évidemment que personne n'allait venir m'aider.
Seule.
Humanité mon cul. Comment on peut dire que l'Homme en possède après cette scène ; que ce soit les harceleurs ou ceux qui détournent simplement les yeux.
Seule.
Mes yeux dévient sur les différents pots de peinture. La tentation de leur lancer à la gueule est forte. Très forte. Et puis des paroles de ma mère me reviennent en mémoire : "Alix, disait-elle, si tu attaques les autres, ils répondront de la même façon ; par la violence. Si tu veux être appréciée, sois gentille. Et si ces gens t'embêtent, ignore les. Ils finiront par se lasser et iront voir ailleurs." Sauf que tu as tort Maman. On n'est pas dans un putain de Disney.
Ici, quand les fils de riches te prennent en grippe, rien ne les arrête. C'est bien beau d'enjoliver les choses en pensant qu'il suffit de ne pas répliquer et d'essayer d'être gentil, mais ça ne sert à rien quand vous méprisez les personnes devant vous.
Néanmoins, en me répétant plusieurs fois ces paroles, j'arrive à me retenir. Probablement parce que je ne veux pas décevoir ma mère.
J'inspire et j'expire. J'ignore les projections qui m'arrivent au visage et je chasse mon envie de pleurer en gardant mes paupières closes quelques instants.
Respire. Sois forte. Ne les laisse pas t'atteindre.
Quand ils ont fini, je me contente de les regarder en tâchant de garder un visage neutre.
Ils me lancent tous un grand sourire moqueur. Cependant, quand mes yeux croisent ceux de Marchal, il a l'air consterné.
J'ignore s'il avait prévu ou non ce déchaînement de peinture mais vu sa tête, je ne crois pas.
Et soudain, quand il s'aperçoit qu'il me fixe depuis quelques secondes, son visage semble adopter de nouveau un masque. Et il me sourit. Comme si tout était prévu. Sauf que je ne suis pas dupe. Et que, par conséquent, je ne peux m'empêcher de lui répondre par un sourire arrogant ce qui lui fait froncer les sourcils.
Il se rapproche alors, d'un pas presque militaire et se plante si près de moi qu'il me suffit de murmurer du bout des lèvres pour qu'il m'entende.
"Tu ne me briseras pas comme ça Marchal. Tu auras beau détruire chacun de mes tableaux, ce n'est pas ça qui me donnera envie de me pendre."
Il semble vouloir dire quelque chose mais je n'attends même pas qu'il ouvre la bouche. Je passe devant lui et lance un "Je vais aux toilettes." à la prof avant de sortir de la salle.

- GLENN -

Et elle se contente de s'éloigner sans même me laisser finir. Sale garce.
Mon regard se porte de nouveau sur le carnage qu'est devenu sa toile.
Pendant un instant je me dis que c'est dommage car le tableau semblait prometteur. Et puis mon cerveau semble se souvenir, la seconde suivante, de son auteur. Et cette toile ne m'inspire plus que du mépris.
Étrange comme succession de sentiments...
Je me tourne ensuite vers la prof et je lui lance :
"Surtout n'oubliez pas de nettoyer Madame."
Sa mâchoire se crispe et ses poings se serrent compulsivement.
Et vu la façon dont elle fixe la peinture et les crayons près d'elle, on dirait qu'elle a envie de m'empoisonner avec ou de m'enfoncer un crayon dans l'oeil.
Cependant, elle se contente de hocher la tête et de nous dire de continuer nos activités.
Très vite mes larbins se placent en cercle autour de moi et semblent attendre des félicitations.
Que c'est mignon... Des humains qui attendent un susucre. Pour un peu je peux presque les imaginer en train de donner la patte ou de baver partout... Quoique sur ce dernier point, je ne suis pas très loin de la réalité concernant certains.
"Eh ben dis donc, vous lui avez bien pourri son truc, je lance.
- Ça ne te plaît pas ? s'inquiète une fille.
- Si bien sûr. Ça en fera plus à nettoyer pour cette barjot de prof.
- À ce propos, comment ça se fait qu'elle t'obéisse sans broncher ? demande un grand blond.
- C'est un secret, je réponds avec un air coquin tout en fixant Arsène du coin de l'œil.
Celui-ci paraît d'ailleurs très gêné et semble à peine oser regarder notre chère Mlle Jackson. Et lorsqu'il remarque que je l'observe, je le vois pâlir et je lui fais un petit coucou alors qu'il se retourne prestement. Tous mes "amis" se mettent alors instantanément à chercher à qui était adressé mon petit signe - ils me font soudainement penser à une meute de loups prête à chasser de nouvelles proies - mais finissent par abandonner, dépités, en ne trouvant rien.

Pendant toute la deuxième heure de cours, je m'attends à voir ma petite Alix passer la porte pour récupérer ses affaires.
Finalement la cloche sonne et elle n'a pas donné le moindre signe de vie. Pourtant, elle va bien devoir revenir pour récupérer son sac. Curieux de voir sa réaction quand elle fera face à ceux restant dans ma salle, je décide de me cacher dans la remise. C'est presque trop simple. Je ne comprends même pas comment ce Schtroumpf a réussi à éviter les ennuis jusqu'ici.
Il lui faut du temps pour réapparaître. Lorsqu'elle le fait, il ne reste plus que la prof. De l'entrebâillement de ma porte, je peux les voir se faire face. Fanny détourne les yeux comme si elle n'osait pas croiser ceux trop plein de reproche d'Alix. À la réflexion, ce doit être exactement ça.
Soudain, Alix lâche un chuchotement qui résonne pourtant comme un cri au travers de la pièce vide.
"Pourquoi ?"
Et elle enchaîne, rapidement et plus fort :
"Pourquoi ne pas avoir dit quelque chose ? Pourquoi avoir détourné les yeux ? Vous êtes sensée être professeur. Il est de votre devoir de protéger vos élèves, non ? Et il était évident que j'avais besoin de votre aide."
Chacune de ses paroles semblent déchirer le silence pesant régnant dans la salle et se planter un peu plus dans le coeur de Fanny.
"Est-ce que vous vous rendez compte que par votre lâcheté l'un des rares lieux où je me sentais à peu près à l'aise est devenu un véritable enfer ?!"
On sent presque tout le désespoir qui anime Garcia à ce moment-là.
Et puis soudainement, comme si quelqu'un avait appuyé sur le bouton stop contrôlant ses déferlements d'émotions, Alix se calme. La prof, quant à elle, n'en mène pas large. Et c'est les larmes aux yeux qu'elle déclare, d'une voix éteinte :
"Je suis désolée. Je ne pouvais pas faire autrement. Et je t'assure que pour moi qui n'ait jamais abandonné un élève, ça a aussi été très dur. Malheureusement, je suis coincée. Je ne peux plus rien faire pour toi désormais.
- Mais enfin pourquoi professeur ?
Je retiens mon souffle un instant. Va-t-elle avoir le cran de lui en parler ?
- Disons simplement qu'il a quelque chose sur moi et que ça suffi amplement à me faire obéir, répond Mlle Jackson.
- Quelque chose sur vous ? Non mais vous plaisantez ? Juste parce que ce connard vous fait du chantage, vous refusez de me venir en aide ?
- Étant donné que ça implique non seulement ma carrière, ma vie et la vie d'une autre personne, je n'ai pas le choix. Je suis désolée.
- Donc en gros vous ne pouvez pas faire autrement que de me laisser dans la merde, dit Alix en s'affalant bruyamment sur une chaise et en plaquant son visage dans ses mains.
- Je suis navrée. Je déteste cette situation tout autant que toi. J'ai horreur d'être impuissante.
- Vous n'y êtes pour rien, rétorque finalement Garcia.
Fanny semble s'apprêter à la contredire mais Alix répète :
- Vous n'y êtes pour rien. Dans cette histoire, vous êtes aussi impuissante que moi. Vous êtes tout autant une victime de Marchal que je le suis.
- Que puis-je faire pour t'aider ? dit la prof d'une petite voix désespérée.
- Me laisser un peu plus de temps pour terminer mon tableau serait bien, rétorque ironiquement Miss plouc.
Le Schtroumpf se tait quelques instants pendant qu'elle réfléchit et répond finalement :
- Je vais faire mieux que ça. Tu m'as bien dit que tu considérait cette salle comme une sorte de foyer, non ?
Alix hoche la tête pendant que l'autre s'éloigne vers son bureau et en extrait quelque chose qu'elle lance vers son élève. Celle-ci réceptionne facilement l'objet et jette un coup d'œil interloqué vers Fanny.
- C'est mon double de clé pour ouvrir cette salle, explique cette dernière. Si ton échappatoire est cette pièce, sens toi libre d'y venir quand tu veux en dehors des cours."
J'observe Alix. Les larmes aux yeux, elle lâche un petit merci et serre la clé contre sa poitrine.

- ALIX -

Je ne sais pas si elle se rend compte du cadeau qu'elle me fait en m'offrant cette clé. Probablement.
Elle me frotte la tête affectueusement et mon mal-être disparaît peu à peu. C'est vachement bizarre de se faire réconforter par sa prof mais ce n'est pas désagréable.
"Bon allez ma grande. Prends tes affaires et rentre chez toi. Tu as bien mérité un peu de repos."
Et elle n'imagine pas à quel point.
Alors je récupère mes affaires et je lui lance un dernier sourire avant de m'en aller.
Finalement, j'aurais tenu une semaine. Enfin quatre jours plutôt. Mais bon, c'est déjà pas mal en y réfléchissant.
Et c'est sur cette note de pseudo optimisme que je descends tranquillement du bus et que je me rends au restaurant.

N.d.a : Hey. Je suis encore légèrement à la bourre. Désolée tout le monde. >.< En espérant que ce chapitre vous ait plu et que vous n'hésitiez pas à me donner votre avis.
En tout cas, je vous souhaite pleins de chocolats pour Pâques.
À la prochaine,
Latte.

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