Chapitre 32

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- ALIX -

Le plus étonnant avec les mots de Glenn c'est qu'ils semblent se réaliser à peu près. En effet, personne ne vient me faire de commentaires durant le reste de la journée et je peux même travailler tranquillement au CDI sans qu'un des crétins qui me suivent un peu partout d'habitude ne me jette des boulettes de papier.
Pourtant, tout mon être reste sur ses gardes. Impossible de me détendre ; instinctivement, mon corps est prêt à se défendre. Alors je rase les murs et je tente de me faire oublier.
Mon courage semble s'être fait la malle et je n'ai pas vraiment envie d'aller à sa recherche pour le moment.
Je ne peux me considérer en sécurité que lorsque je rentre dans ma chambre et me jette sur mon lit.

Cela fait une semaine maintenant que rien ne s'est produit. Rien. Pas le moindre petit incident. Je commence à peine à ne plus retenir mon souffle à chaque croisement. J'arrive à avaler un verre d'eau et une tartine le matin sans les vomir après.
Lila mange de nouveau avec moi et est toujours à mes côtés. Je sens que je peux me reposer un peu plus sur elle et supporter les regards malveillants qui se posent sur moi. Je suis un peu plus forte, je commence à être un peu plus confiante. Glenn ne m'a plus embêté et se contente de respecter une sorte de statut quo tous les midis, en salle d'art plastique. Il ne fait aucun commentaire sur la présence de ma meilleure amie et ne m'a adressé, à son propos, qu'une seule remarque.
"Je me disais bien que tu tenais vachement longtemps pour quelqu'un de seul, avait-il dit tout haut, jeudi dernier."
Et puis, il s'était détourné et, étonnamment, n'avait rien ajouté. Je le voyais bien lâcher un truc du genre "Je suis bon prince, donc je ne vais pas tenir compte du fait que je me suis fait arnaquer." ou tout autre commentaire visant à se vanter pourtant.
Lila et moi avions gardé le silence et nous nous étions contentées de reprendre notre repas tranquillement.

Le vendredi arrive assez vite et je suis soulagée de pouvoir rentrer de nouveau en salle d'art plastique et de m'installer à mon chevalet. Aujourd'hui, nous allons avoir un nouveau thème d'étude et je suis impatiente de voir ce que nous a préparé notre chère professeur. Cette dernière attend que tout le monde s'installe et l'écoute puis annonce d'une voix claire :
"Bien comme vous le savez, aujourd'hui nous avons un nouveau sujet d'étude. J'ai choisi de vous faire travailler sur le portrait. Que ce soit De Vinci, Arcimboldo, Vermeer, Van Gogh ou Picasso, tous ont réalisé un portrait et cela en utilisant des techniques très différentes. Voici ce que je vous propose : vous devrez, à leur manière, réaliser un portrait. Ou, devrais-je dire, plusieurs portraits. Je souhaite que vous me rendiez, après les vacances, un autoportrait et un portrait. Utilisez le matériel que vous souhaitez et sélectionnez deux styles parmi ceux des peintres que je viens de vous citer pour les appliquer à vos créations. La note que vous obtiendrez comptera pour un quart de votre note finale de ce trimestre. Il va sans dire que je souhaite également un commentaire d'une page qui m'explique pourquoi vous avez choisi tel ou tel style et qu'il devra être joint des photos ou des esquisses de vous que vous avez utilisé pour votre autoportrait. En outre, vous devrez également y ajouter les croquis que vous aurez réalisé à partir du visage de l'un de vos camarades. En effet, vous allez passer les prochaines séances à esquisser le portrait du camarade que vous aurez choisi au préalable. Et c'est à partir de toutes les esquisses que vous aurez faites que vous construirez votre travail et uniquement à partir d'elles. Si je peux vous conseiller une chose, c'est de réaliser un croquis global puis plusieurs de petits détails qui n'apparaissent qu'avec les mouvements de votre camarade. Par ailleurs, il est judicieux de choisir une personne avec qui vous avez des affinités ; vous observez son visage souvent et vous en avez l'habitude, ce sera donc plus simple à dessiner. Mais surtout n'oubliez pas une chose : un portrait rend toujours compte des émotions que vous éprouvez pour la personne que vous dessinez. Gardez-vous donc de la représenter de façon trop brute ou trop belle. Ce n'est pas le but de l'exercice. Cela dit, je suis très curieuse de voir ce que ce travail va révéler de vous. Mettez-vous par deux et que ça saute."
Je mets quelques secondes à prendre conscience de ce qu'elle me demande. Dessiner un de ces connards ou un de ceux qui font semblant de ne rien voir... Ce qui revient au même en fait. J'ai beau savoir qu'ils n'ont pas le choix, qu'ils doivent faire profil bas, au plus profond de moi, je les hais tout autant.
Je déteste le fait que ce soit si simple pour eux. Ils n'ont qu'à détourner les yeux. C'est simple, si simple. Pourtant je considérais certains d'eux comme mes amis avant...
Mes poings se serrent, mes ongles s'enfoncent dans la chair de mes paumes.
Je ne veux pas me trouver face à l'un d'eux. Je ne veux pas les dessiner. Seule ma haine ressortirait de mon travail.
Je dois trouver une alternative.
Cette pensée a à peine le temps de traverser mon esprit que déjà, quelqu'un vient vers moi. Mes yeux croisent les siens, blasés, tandis qu'il s'assoie face à moi, son carnet à croquis dans les mains. Son visage affiche un air déterminé contrastant fortement avec la lassitude exprimée dans ses yeux hazels. Il ne me laissera pas le temps d'objecter. Glenn Marchal me fait face.

Another breath...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant