Chapitre 33

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- ALIX -

Chaque cellule, chaque infime particule de mon corps ne me crie plus qu'une chose : "VIS !". Vis. Vis. Vis.
Alors je cherche. Je cherche ma porte de sortie mais tout est noir ici.
Vis.
J'ai froid. Si froid.

- GLENN -

Alix est couchée sur la banquette arrière de la voiture, couverte par le plaid qu'Alfred a ramené. Je reste près d'elle et fixe obstinément sa cage thoracique afin de vérifier qu'elle continue à respirer. Pas un seul instant je ne la quitte des yeux. Je me contente de tenir son poignet et de compter les battements de son cœur. Ils me paraissent réguliers mais rien n'est moins sûr. Ses lèvres sont à mi-chemin entre leurs rose traditionnel et un bleu pastel inquiétant. Je dois me retenir de toutes mes forces pour ne pas la prendre dans mes bras et frictionner ses membres. J'ai lu quelque part que ça pouvait empirer la situation.
Ce n'est que lorsque le majordome arrête la voiture et la sort doucement que je détache mon regard de son corps et de son visage affreusement pâle. Je le suis précipitamment et nous la montons prestement dans ma chambre. J'ai beau savoir pertinemment que ça ne va pas plaire à Alix, je n'ai pas le choix ; mon père peut arriver à tout moment et peut entrer dans la chambre d'ami n'importe quand puisqu'il y conserve toute sa documentation. Et il est hors de question qu'il la trouve.
Le majordome la tient encore un instant le temps que j'aille chercher Rosa, notre femme de ménage pour qu'elle change Alix. Je la trouve dans la cuisine en train de laver le sol, son éternel foulard blanc remuant doucement alors qu'elle chantonne en remuant la tête. Lorsqu'elle me voit apparaître, elle se redresse vivement et époussette sa robe bleue avant de venir vers moi. (*) Rapidement, je lui explique la situation et en deux temps trois mouvements, elle attrape d'anciens vêtements qui appartenaient à ma mère et s'empresse de changer notre invitée dans la salle de bain attenante à ma chambre. Puis, précautionneusement​, je la glisse dans mon lit après que Rosa ait fini. Je passe de longues minutes assis à ses côtés, continuant à la fixer inlassablement, jusqu'à ce qu'on frappe à la porte. Le docteur Hugh (**) passe la porte et ses yeux me transpercent tandis qu'il s'avance vers le lit. Il l'examine assez rapidement et minutieusement puis il se tourne vers moi et me fixe. Ses yeux bleus me mettent mal à l'aise et je détourne les miens. Et alors que je suis au comble du malaise, il ouvre la bouche et demande :
"Peux-tu m'expliquer, gamin, pourquoi ma patiente présente des signes de noyade ?
- Je... Je ne sais pas.
- Ne mens pas. J'ai besoin de savoir la vérité.
- Qui vous dit que je mens ?
- Tout le monde ment. Les patients généralement. Mais leurs proches aussi cela dit. Alors je te repose ma question, gamin : pourquoi présente-t-elle des signes de noyade ?
- On l'a poussé du haut d'un pont, je réponds après une courte hésitation. J'ai été la repêcher et je lui ai fait du bouche à bouche. Elle a recraché l'eau qu'elle a avalé. Enfin je crois... En tout cas, elle en a rendu une bonne partie.
Le médecin se pince l'arrête du nez avant de reprendre :
- Et tu peux m'expliquer pourquoi elle n'est pas dans un putain de lit d'hôpital ?
- Parce que ça condamnerait ces enculés.
Il me regarde, perplexe, avant de demander :
- Et ? Ce n'est pas une bonne chose ?
Si ces gars plongent... On plonge tous. Ou plutôt je plonge. J'ai perdu le contrôle, Doc. La police surveille Alix et elle ne doit surtout pas avoir le moyen de nous coincer.
- On ne peut pas, c'est tout. Je préfère qu'elle soit soignée ici.
- C'est stupide, gamin. Emmène la à l'hôpital. Il faut vérifier qu'elle n'a rien.
- Non. On ne peut pas.
- T'es vraiment prêt à risquer sa vie ?
Je me mords les lèvres en réfléchissant à toute vitesse. Mais rien à faire, je ne trouve rien à répondre. Je n'en ai pas envie mais je n'ai pas le choix.
- On n'a pas le choix, je répète tout haut. Trouvez un moyen pour la soigner autrement.
- J'espère que t'es croyant gamin. Parce que ce que tu me demandes là, c'est impossible. Le seul remède que tu puisses espérer utiliser avec des conditions pareilles, c'est la prière. Et je te le déconseille. »
Je soupire longuement, frustré. Je ne veux pas la mettre en danger... Du moins plus qu'elle ne l'est déjà. Mais si je le fais, c'est moi qui vais avoir des ennuis. Le médecin souffle bruyamment avant de me proposer à contrecœur :
« Écoute, j'ai déjà traité ta mère dans ma clinique. Sa chambre privée est encore utilisable puisque ton père la paye chaque mois au cas où l'un de vous deux est malade. Transportons la là-bas pour que je fasse des examens complémentaires et ton père ne saura jamais rien de tout ça. »
Je ne veux pas remettre les pieds là-bas, est ma première pensée. Et puis j'entends la respiration légèrement sifflante, je vois le corps plus pâle que d'ordinaire, je touche une peau froide. Trop froide.
Et j'acquiesce sans hésiter plus longtemps.

Another breath...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant