Un moment d'égarement

Chapitre 5

Le lundi soir était mon soir préféré pour travailler. Peu de personnes, c'est-à-dire, peu de risque de bagarre. Les quelques clients présents sortaient pour la plupart du travail et commandaient un verre rapide avant de rentrer chez eux. Quelques uns me racontaient leurs weekends qui étaient généralement bien meilleurs que les miens. Pourtant ce weekend-là avait été génial. Je me demandais si Jason était venu déjeuner ce matin. La réponse était certainement non. Vince n'aurait pas manqué de m'en parler. Un géant qui commande un petit-déjeuner et qui laisse un pourboire astronomique, rien de mieux pour éclairer une journée routinière.

En resservant un cadre supérieur, je souris intérieurement. Il m'avait fait signe, il m'avait sourit. Pauvre pomme, bien sur qu'il t'avait reconnue, il n'a pas non plus une mémoire de poisson rouge. Je remerciais le ciel d'avoir pris le temps de me préparer pour la soirée. Cela me changeait des mes éternels jeans et T-shirt personnalisés. Pas très glam, mais je me voyais mal servir des hommes alcoolisées en mini jupe et décolleté plongeant, tant pis pour les pourboires perdus. Et puis, qu'est ce que je racontais, encore comme ânerie. Il est marié, avec un enfant. Qu'est ce qui pouvait bien m'arriver? Je n'étais pas du genre à m'enflammer pour n'importe qui. J'avais même du mal à me faire des amis, encore trop habituée à rester à l'écart pour ne pas souffrir le jour où je déménagerais.

Essayant de faire le vide, je me concentrais sur le nettoyage du zinc. Les clients étaient de plus en plus éparses. Seuls Fred et Earl tenaient encore le comptoir. Et après, on osait dire que les hommes ne sont pas fidèles. Je leur resservis une bière et perçu un mouvement dans mon dos. En jetant un rapide coup d'oeil à la montre, je me dis qu'il était un peu tard pour un nouveau client. En me retournant, je frôlais son avant-bras bronzé et me figeai en plein mouvement.

- Bonsoir, m'enveloppa une voix grave.

- Bonsoir, qu'est ce que je vous sers? demandais-je de mon ton le plus professionnel alors que mon coeur dansait la java.

- Tu sais qui je suis? demanda-t-il un brin moqueur où perçait néanmoins son anxiété. Il devait s'imaginer que j'allais me servir de lui pour nous faire de la publicité.

- Je connais votre nom, c'est différent.

Cette remarque le rasséréna et il hocha la tête, me regardant en biais. Pourquoi ce mec était-il aussi mignon?

- Je prendrais bien une bière.

- Entendu.

Je m'éloignais, espérant ainsi reprendre mes esprits. Je n'allais quand même pas me conduire comme une groupie. J'aimais bien sa série, et son physique, mais je ne le connaissais pas.

- Et voila! dis-je triomphalement en déposant une chope devant lui.

Il l'attira à ses lèvres et je n'aurais pas du suivre son mouvement. J'étais perdue.

- Yo, Lace! hurla Earl en brisant le sortilège de l'adonis.

- Oui, Earl.

- Tu mettras ça sur ma note, j'ai plus de thune. Faut que je rentre avant que ma bonne femme me tue.

- Ca marche. Bonne soirée les garçons!

- Tu veux qu'on reste? demanda Fred, en s'arrêtant derrière Jason en bombant le torse, tel un coq de basse-cour.

Bon Dieu, il avait sacrément bu, s'il pensait faire le poids. Au sourire de l'acteur, celui-ci devait visiblement se faire la même remarque.

- Ca ira, merci. Passez le bonjour pour moi à Miranda!