Un moment d'égarement

Chapitre 8

Je regardais le camion manœuvrer juste devant notre terrasse. Il allait tout arracher ce couillon. Je l'observais batailler avec la porte. Décidément, il était plutôt maladroit. J'espérais qu'il s'y connaissait mieux en congélateur qu'en livraison. Je lui indiquais l'emplacement et les prises pour le mettre en route pendant que son collègue me faisait signer tous les documents.

La porte du bar s'ouvrit dans mon dos et je me retournais pour accueillir le client courageux. Etant donné la taille du bar, les cartons et le polystyrène qui jonchaient le sol.

- Bonjour !

- Salut, murmura Jason en regardant autour de lui, stupéfait. C'est ouvert ou fermé ?

- Je n'en sais trop rien en fait. Ca va dépendre de toi. Un café ?

Il hocha vigoureusement la tête et s'affala avec décontraction sur son tabouret fétiche.

- Alors ? Qu'est ce qui se passe ? demanda-t-il en désignant du menton les deux livreurs.

- Vince a acheté un nouveau congélateur et une machine pour faire les glaces. A partir d'aujourd'hui, enfin si tout se passe sans accroc, nous devenons glacier, énonçais-je théâtralement.

Jason éclata de rire, ces yeux pétillaient de malice.

- Dis-moi que tu vas avoir un uniforme ? me supplia-t-il mort de rire.

- Oui, une mini-jupe et une brassière, dis-je le plus sérieusement du monde, en affichant ma mine dépitée.

Il cessa de rire immédiatement. Son poing se serra et son indignation me fit sourire. Je sautillais sur place telle une sauterelle ivre.

- Je t'ai bien eu, ricanais-je.

Loin de se formaliser, il applaudit ma performance avec humour.

- C'est bon, c'est installé, m'informa le livreur. Je vous montre ?

Heureusement, Vince avait eu la bonne idée de prendre une machine relativement facile d'utilisation. Je ne pouvais pas abandonner le bar cinq minutes à chaque fois qu'un client voulait une glace. Les explications s'éternisaient en revanche. Bon Dieu, il n'en finissait pas. Son manège était visible à dix kilomètres à la ronde. Il ne voulait pas retourner travailler et il espérait s'octroyer une pause. Un bras puissant s'enroula autour de moi et je me retrouvais plaquée contre le torse ferme de Jason. Sa main se fit légère, comme pour me demander pardon. Je ne pouvais pas voir son visage mais à voir l'expression horrifiée sur la pipelette face à moi, cela devait valoir le détour. Il récupéra en vitesse ses documents et détala sans demander son reste.

Jason me relâcha et j'eus brusquement froid. Il retourna calmement à sa place, un sourire en coin sculptant une fossette sur sa joue. Je me sentis rougir et me détournait brusquement pour lui cacher mon embarras. Je récupérais les morceaux de carton et de polystyrène en ignorant la brûlure que son regard provoquait sur ma peau. Il suivait tous mes mouvements comme un tigre guettant sa proie avant d'attaquer. Mes gestes étaient raides, je n'avais jamais été aussi consciente de mon corps. Par chance, son téléphone se mit à bourdonner en sourdine, ce qui me permit d'échapper à son regard scrutateur. Il se détourna légèrement pour prendre son appel, aiguisant ainsi ma curiosité. Je regagnais ma place derrière le comptoir en lui lançant de rapides coups d'oeil. J'avais beau me répéter que cela ne me regardait pas, ma volonté disparaissait devant le magnétisme de l'homme assis à quelques mètres de moi. Il soupira, jura et coupa son téléphone. Qui que se soit, il était de mauvaise humeur. Avant que je n'ai eu le temps de lui proposer un autre café, il sortit sans un regard en arrière. J'en restais stupéfaite. Il n'avait même pas payé! Vu les pourboires qu'il me laissait habituellement, ce n'était pas gênant mais cela ne lui ressemblait pas. Agacée de le voir partir précipitamment, j'en voulais à son interlocuteur. J'étais stupide. C'était probablement sa femme, et il avait couru la rejoindre. Qu'est ce que je m'imaginais à craquer sur un homme marié? C'était plus fort que moi. C'était agréable d'avoir quelqu'un à qui parler qui ne soit pas constamment ivre, et il était un dieu vivant mais les choses s'arrêtaient là. Je ne pouvais pas le laisser avoir autant d'ampleur sur mes émotions.