L'Île de Verre

Étape 5 : L'Empereur de Kin

            Le petit homme too-shoo darda sur Sana un regard suspicieux et hautain. Grassouillet comme la majorité des êtres de sa race, le nez pointu d'une souris s'agitant à chaque pensée, ses grandes oreilles mobiles venant parfois frapper ses ridicules petites cornes sur le sommet du crâne, les too-shoo étaient un mélange de ridicule, de mignon et d'assommant. Généralement, ces hommes-souris n'avaient pas plus de deux sujets de conversation desquels ils fondaient toute leur vie : métier, passions, relations... La jeune femme les trouvait souvent ennuyant, épuisant le reste du temps.

           Celui-ci ne faisait pas exception. Responsable des demandes d'audience, il semblait réaliser un point d'honneur à lui refuser sa requête d'entrevue... Et ce n'était pas Sharm à ses côtés, grognant et menaçant, qui l'aidait, mais le jeune shia ne faisait qu'exprimer la frustration latente de sa compagne, comment l'en punir ?

- Comme je viens de vous le répéter, je suis mandatée par le Vénérable Archon, Grand Archiviste et Haut Responsable du Trésor de Kin ! J'ai d'importantes informations à communiquer à l'Empereur et...

- A l'Enflammé, Immortel et Unique Dragon, Empereur de Kin, insolente !

           Le too-shoo la coupa sans honte, faisant claquer à la fois ses incisives proéminentes, en même temps qu'un petit bâton ouvragé, qu'il tenait dans sa main, sur son pupitre haut perché. Sharm gronda plus fort, se rapprochant de lui, forçant Sana à augmenter son emprise mentale - les yeux de la jeune femme devinrent deux pupilles aux iris fendues verticalement, identiques au shia. Cette manifestation de ses compétences furent la goutte d'eau pour son tortionnaire ; il caressa une plaque de métal qui entourait l'une de ses oreilles, faisant apparaître derechef deux énormes mastodontes : deux mâles shurgkso !

           Sana pâlit malgré elle. Les shurgkso n'avaient aucune affinité avec la magie, à un tel niveau qu'ils y étaient eux-mêmes insensibles ! C'étaient sans aucun doute les pires ennemis des pratiquants des arts. Ils étaient grands, un shurgkso masculin pouvait facilement atteindre les trois mètres, portaient des cornes imposantes sur le crâne, avaient le faciès différent d'un individu à l'autre, mais toujours pourvus d'immenses dents effilées, mâchoires dévastatrices ambulantes. Allié à leur tête, leur allure carrée, leurs muscles ultra développés se terminant par deux jambes animales aux larges sabots fendus, complétaient le tableau. Seule leur absence de relation avec la magie empêchait les érudits de les considérés comme des protéens...

- Veuillez mettre cette « chose » dehors, son « chat » avec elle, je vous prie !

           Sharm devint furieux aux paroles de l'homme-souris et surpassa l'emprise mentale de Sana, qui crut sa dernière heure arrivée. Impossible de reprendre son shia en main, ou de se battre contre les deux immenses shugkso bardés de métal !

- Sharm, non ! Cria-t-elle.

           Mais son compagnon animal, sanguin et vif, l'ignora superbement, bondissant vers le pupitre où se tenait le responsable des audiences... Il n'y parvint pas, une énorme main venant l'arrêter net dans son élan, en un geste large qui le plia en deux, avant d'aller se fracasser contre le mur et tomber, mollement, inanimé.

- NON !

           Sana se précipitait vers lui, pliée en deux sous la douleur qu'elle ressentait parfaitement émaner de lui, quand deux bras aussi larges que des troncs vinrent l'enserrer à l'en étouffer.

- Cela suffit.

           Une voix masculine parfaitement calme venait de s'élever soudain dans la grande pièce tel un claquement de botte sur de la pierre. Sana poussa un gémissement de désespoir, le corps entièrement meurtrit entre les bras qui venaient d'essayer de la broyer, mais aussi par la plaie béante de son cœur, duquel s'écoulait l'état catastrophique de Sharm.