Étape 55 : Lois et Textes Sacrés

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          Les dernières paroles de Meregrin venaient de noyer l'espace dans un silence pesant. Aucune des personnes présentes n'osait relancer la conversation. Pire ! À peine quelques instants plus tard, la salle se mit à trembler tandis qu'un grondement sourd rebondissait entre les murs.

– Sharm est totalement paniqué, comme...

          Sana s'était levée de son siège à toute allure, rapidement imitée par Fael, Nexrim et Huren. Le shia de son côté grognait, très mal à l'aise. Yvain suivit le mouvement plus par inquiétude que réel réflexe. Il dégaina l'épée que l'elfe lui avait donnée à A'Shen'Kra. Le nain grommela bien quelque chose sur l'impolitesse d'interrompre un déjeuner, mais personne ne l'écouta. Quant à Aela, son regard chagrin se dirigea vers la Mère Supérieure, aussi impassible qu'une montagne.

– Qu'est-ce ? demanda la jeune fille à la responsable de l'Ordre.
– Une vieille connaissance, répondit-elle dans un murmure.

          Un cri désespéré derrière la porte fit bondir les combattants au-dehors de la salle ovale. Peu après, ils se mirent à s'exclamer à leur tour, leurs regards fixés vers le sommet de la forteresse. Les yeux affolés d'Yvain passaient d'eux à Aela à ses côtés sans savoir où se trouvait son devoir. Dame Maya lui régla son cas de conscience. Elle se leva à son tour avant de se diriger vers le couloir avec les deux jeunes. Seul Meregrin ronchonna face à son assiette encore à moitié pleine, mais se décida à faire de même d'un claquement de langue réprobateur.

           Dans l'espace central régnait un chaos difficile à décrire. La prêtresse Alani, les deux mains plaquées contre le bouclier d'énergie qui protégeait le puits de lumière, utilisait toutes ses forces pour le maintenir en place. En dessous, Sheer, les doigts tendus vers elle, déployait un immense cercle d'incantation à ses pieds qui semblait canaliser toute la magie alentour vers lui. Grâce à cela, il parvenait à transférer toute la puissance ainsi accumulée vers l'Agélos en première ligne.

          Dès que Fael, Sana, Nexrim et Huren avaient débarqué à côté de l'apprenti mage, le sort d'absorption magique lancé par ce dernier avait drainé leur énergie et les avait fait choir au sol, tous impuissant. Dame Maya empêcha Aela et Yvain de se rapprocher à leur tour, non sans fixer Sheer de son regard dur impénétrable.

– Êtes-vous sûr de ce que vous faites ? Il finira par rentrer, maintenant ou dans quelques secondes...
– Alors, dites-moi le meilleur moment ! Celui où nous risquerons le moins de vie, au lieu de me faire la morale ! gronda-t-il en réponse.

          La Mère Supérieure pencha la tête et jeta un coup d'œil vers Aela qui fixait ses amis au sol incapables de se relever. Son regard fila ensuite vers Yvain, l'épée levée, son attention braquée vers l'imposant dragon noir qui disparaissait à demi sous les effets des sorts entrechoqués. Quand enfin elle reprit la parole, sa voix éteinte trahissait une anxiété qu'elle ne devait pas souvent éprouver.

– Je ne peux pas...
– Vous foutez pas de moi, là ! hurla Sheer, le visage déformé par l'effort.
– Pardon : je ne sais pas, claqua le ton glacé de dame Maya.

          L'air éberlué de l'apprenti mage aurait suffi à faire rire Huren une heure plus tôt. Mais les événements continuaient sans pitié. Les griffes acérées de Kan et les sorts de haut niveau qu'il enchaînait finirent par briser la barrière protectrice comme du cristal. La prêtresse Alani fut repoussée violemment vers les étages inférieurs dans un cri rauque. Le fracas de son atterrissage contre le mur du dessous laissait craindre le pire.

           Mais toutes les personnes présentes n'eurent pas le temps de se préoccuper d'elle que l'immense corps noir luisant du dragon pénétrait dans le bastion. Incapable de voler dans l'étroit passage, il s'agrippait à la rambarde qui cheminait tout du long pour maintenir sa position et progresser jusqu'à eux. À chaque mouvement, le bruit rauque de sa respiration lourde sifflait et faisait écho entre chaque espace vide. Quelques grognements et la chute massive des pierres qu'il arrachait à son passage complétaient l'impression générale d'une mort implacable en approche.

L'Île de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant