Étape 17 : Duel sur la lande

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           À une époque reculée, les Norvans parcouraient la majorité de Valdoria et ne la disputaient qu'aux Elfes dans les bois du sud, les Leiyong dans leurs cités flottantes et les Kérès à peine conscients. La terre se trouvait en quasi-totalité gelée et la magie n'avait plus jamais été aussi forte qu'à cette époque. De ce temps presque idyllique aux maîtres en magie, très peu d'entre eux se souvenaient des raisons qui avaient forcé les Norvans à l'exil vers le nord. Il y eut bien quelques vieux sages qui parlèrent d'un changement de magnitude, ou de forces dans la magie elle-même, mais personne pour en tenir réellement compte.

           Durant la période de la Grande Migration, les plaines fertiles du nord devinrent les immenses steppes gelées des Norvans, les Leiyong disparurent officiellement peu après, les Kérès prirent leur essor et les Humains, les Orks et les Niaroshans émergèrent du sud, dévasté par les eaux de l'océan Inérique. D'après les souvenirs des Elfes, les Nains se trouvaient toujours plus ou moins là, de même que les divers Protéens, bien que les Druides et les Centaures préféraient les douces températures d'été. Des Pixii et des Agélos, personne n'en savait rien et c'était peut-être mieux ainsi.

           De la période faste des Norvans, de nombreuses créatures parcouraient Valdoria, certaines bien connues comme les massifs mammouths laineux, ou encore les troupeaux immenses de riokrônes blancs, à présent presque tous disparus ; d'autres, plus rares, comme les ours solitaires ou les légendaires renards blancs à neuf queues. Mais le plus mythique de tous provenait de la magie elle-même : la solienne. Des chants Norvans entiers lui étaient consacrés et tous les peuples en avaient entendu parler au moins une fois dans leur passé - en bien ou en mal.

           Personne ne connaissait réellement l'origine, la nature et le mode de vie des soliennes - ni même s'il en existait plus d'une -, mais tous s'accordaient à parler d'elles comme des créatures « faites de vent et soufflant à travers la magie », capables de voler dans le ciel ou nager à travers les océans comme si elles y vivaient depuis la nuit des temps. En voir une de ses yeux oscillait entre bonne nouvelle, catastrophe en devenir et malheur pour les cent prochaines années suivant les habitants des diverses régions. Parvenir à en approcher une, par contre, relevait de l'exploit que tout jeune homme espérait accomplir dans ses vertes années, afin de prouver sa valeur. Comme si la solienne en avait quelque chose à faire de leur fierté...

           Alors, quand Liam avait annoncé à Fael qu'une créature pareille allait bientôt passer par là, ce fut aussi naturellement du monde qu'elle répondit d'un grand éclat de rire sarcastique.

– D'accord, dans ce cas, attends tout seul !

           Il ne manquait qu'un « espèce de fou ! » afin de ponctuer sa sortie à merveille, que le capitaine de Kin perçut avec précision dans tout son déhanché d'elfe sceptique. L'homme soupira et maîtrisa quelques propos bien sentis, qu'il allait lancer dans sa langue, quand il se reprit à temps. Fael ne devait rien savoir de son passé, pour des raisons évidentes à ses yeux. Déjà, devoir expliquer sa vie reviendrait à conter une épopée longue comme un Jour Éternel, avec des informations qu'elle ne croirait certainement pas, si elle refusait l'idée même qu'il puisse sentir venir une solienne.

           Avec une force passive qu'il avait mis des années à maîtriser, Liam descendit de la bête de somme qui transportait Sana et Sharm, pour s'assoir par terre. Durant tout son manège, l'elfe le regarda faire, interloquée. Elle eut alors un rictus amusé et condescendant.

– À défaut d'être censé, t'es au moins assez intelligent pour prendre les bonnes décisions.

           Sans un mot de plus, Fael s'en alla récupérer les rênes du riokrône et commençait à s'éloigner, quand elle sentit un poids mort au bout de son bras : l'animal ne bougeait plus ! Vexée, elle se retourna vers lui, le somma d'avancer, sans résultat. La suite fit penser à la vieille théorie des Tholoniens vis-à-vis de la magie. Pour les maîtres en magie, lorsqu'une personne ne parvenait pas à l'appréhender, il commençait par refuser son incapacité, avant de se mettre en colère, puis marchander, puis profondément déprimer. L'acceptation de ses limites achevait le processus de rejet de la magie.

L'Île de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant