Étape 22 : Pelthiar

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           Les nasaux fumants ébouriffaient ses cheveux à chaque expulsion d'air chaud. La circonvolution de ses mèches passionnait Aela qui s'amusait à les contempler se soulever pour mieux retomber la seconde suivante. Son regard curieux passa rapidement sur les dents immenses qui raclaient les lèvres de l'animal pour atteindre ses yeux, bordés de sourcils épineux. Deux grands iris cyan magnifiques venaient de se fixer sur elle, attentifs et impérieux. À moitié relevée sur la couche en peau et en fourrure sur laquelle la jeune fille se trouvait, ses gestes s'immobilisèrent brusquement. Une éternité sembla s'écouler entre son âme ébranlée et celle millénaire qui se dressait face à elle.

          Un dragon des tempêtes. Remontée des tréfonds de son esprit sans mémoire, cette information la saisit avec brutalité pour mieux la replonger dans la terreur. Réputés pour être imprévisibles et capricieux, voir dangereux, Aela se mit sérieusement à craindre pour sa vie. Mais l'animal ne bronchait toujours pas, il continuait son examen attentif dans un silence respectueux seulement ponctué par sa respiration lente et hypnotique. Peu à peu, elle se surprit à se calmer sous ce regard bienveillant.

           Où se trouvait-elle ? Pourquoi ce dragon veillait-il sur elle ? Ses souvenirs confus des derniers événements ne l'aidèrent pas à faire le point sur sa situation. Ses yeux entreprirent de réaliser un tour d'horizon de la pièce où elle était allongée, afin d'envisager des réponses à ses questions. L'habitation à moitié creusée et bâtie paraissait être un assemblage étonnant de tout ce qu'il était possible de dénicher, de la carcasse d'un bateau de pêche aux vieilles colonnes brisées d'un édifice quelconque datant d'une autre époque. Au-delà de la structure bancale, l'intérieur pouvait passer pour luxueux, mais surtout prolifique : des coussins énormes moelleux sur d'immenses tapis colorés se battaient avec d'amples voiles et tentures divers et variés et une infinité d'objets en tout genre s'étalaient autour de la couche principale, surélevée. Des lampes dorées ajourées pendaient au plafond par de grosses chaînes à peine polies, semblables à celles de prisonniers. L'ensemble paraissait immense, du moins assez pour permettre à ce dragon de s'y glisser et de s'allonger au pied du lit, ce qui semblait être sa position habituelle en pareil cas.

« L'on m'appelle Pelthiar, ici. Quel est ton nom ? »

           La voix qui résonna soudainement dans sa tête fit l'effet d'un chœur pour Aela, encore étourdie par l'expérience déroutante de l'inconscience. Depuis son réveil quelques semaines plus tôt, dans les bois d'Indy, elle n'avait plus dormi un seul instant... jusqu'à sa pâmoison sur le navire. Aucun rêve n'avait troublé son état comateux, tout comme le repos l'avait fui, lâchement. Elle braqua son regard à nouveau dans les yeux céruléens de la bête mythique étalée à ses pieds. Comment fallait-il s'adresser dans ce genre de cas ?

– Aela. Enchantée... Pelthiar. Où suis-je ? Pouvez-vous me le dire ?

           Un souffle chaud plus prononcé l'ébouriffa totalement, ce qu'elle considéra être un long soupir qui la fit glousser malgré elle, car l'air tiède vint la chatouiller dans le cou. Pelthiar lui répondit peu après de sa voix androgyne moins hésitante, plus douce.

« Sinegale, la citée volante des Cardingues. Mais cela ne doit pas te dire grand-chose... »
– En effet...

          Légèrement troublée par son impossibilité à statuer du sexe de l'animal, Aela finit par hocher la tête de gauche à droite, comme pour essayer de se débarrasser de cette idée fixe. Et un rapide coup d'œil sous la fourrure qui la recouvrait encore l'avertit que son premier souci ne viendrait pas de là : elle se retrouvait toute nue ! Ses joues rosirent derechef et son malaise devint aussi palpable qu'un orage en approche. La longue queue reptilienne qui entourait le lit s'agita alors légèrement et frappa le sol à un rythme régulier, comme pour l'inciter au calme. Cette impression persista d'autant plus que son gardien lui désigna, de sa tête, des affaires sur un large coussin violet à côté d'elle.

L'Île de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant