L'Île de Verre

Étape 13 : De mal en pire

          En Valdoria, une vingtaine de races cohabitaient plus ou moins en paix depuis des millénaires. Pourtant, aucune d'elle ne possédait de réponses sur l'origine du monde. Des scientifiques, des explorateurs et des penseurs avancèrent bien quelques idées au fil des siècles, sans résultat. De nombreux peuples se reposaient sur les croyances populaires, la religion ou les prophètes plus ou moins véridiques.

          Les Protéens représentaient la majorité de la population du continent, ils se trouvaient partout, de la forêt dense aux océans abyssaux. Beaucoup d'entre eux refusaient cette catégorisation, considérant qu'elle provenait de la volonté des autres peuples. En effet, à moitié homme et à moitié animal, deux protéens pouvaient ne rien avoir en commun. Ils possédaient une hiérarchisation, des coutumes, des pensées et des croyances bien différentes suivant le groupe auquel ils appartenaient.

           Les Druides ne représentaient plus qu'une poignée sur l'ensemble des forêts. Vivant seuls et voyageant peu, ils passaient pour introvertis et asociaux. Néanmoins, ils pouvaient utiliser des capacités étonnantes que de nombreuses races leur enviaient depuis des siècles. Les Elfes et les Silfs, qui habitaient également dans les bois, les respectaient comme des sages, des mentors ou bien encore des prophètes.

          La plus connue des Druides s'appelait Andarite et vivait dans la forêt d'Andin. Magnifique femme qui différait des Humains par la présence d'une immense corne immaculée sur son front. Une Eluna. Une créature quasi mythique, dont le sang d'elune proviendrait de l'astre de la nuit lui-même, guérisseur et salvateur. Capable même de ressusciter les trépassés.

          Au décès d'Andarite, l'Empereur de Kin de l'époque érigea un immense bâtiment au-dessus de sa tombe. Durant des centaines d'années, des pèlerins vinrent prier et réclamer des miracles, espérant que l'Eluna les entendît. Car la rumeur voudrait qu'elle vécût encore sur Aline, la Grande Lune.

           Et les années passèrent. Andarite devint une citée du savoir et de la protection, révérant les Druides. Aline restait la Grande Lune pour certains, une déesse pour d'autres, un paradis à atteindre pour les derniers.

          Seuls le Grand Archiviste d'Andarite et l'Empereur connaissaient la vérité.

– Révéré Dragon ? croassa la voix chevrotante du vieillard.

          Agnir II sortit de ses pensées moroses et de la contemplation silencieuse qu'il avait du bois d'Andarite, unique reste immortelle de l'Eluna. Ternie et grise, elle ne ressemblait plus à la sainte relique d'avant.

– Archon, j'espérais trouver en la corne d'Andarite la salvation à ce problème magique.

          Situés dans les sous-sols du Grand Archivage, à l'emplacement même où la dépouille de l'Eluna était censément enterrée, les deux hommes contemplaient tout ce qu'il restait d'elle : une corne vidée de sa substance surnaturelle.

– Mes excuses, Enflammé. J'aurais apprécié vous offrir une meilleure nouvelle, mais il semblerait que l'explosion lors du descellement de Kaletvor ait réalisé bien plus de dégâts que les Sages le pensaient.
– Je sais. User de magie demande une technique bien plus pointue qu'avant... ou des capacités naturelles que de nombreux Maîtres ne possèdent pas. Mais cette corne... Se pourrait-il que les Eluna — et les Druides — aient à souffrir de cette catastrophe ?

           Le vieil homme haussa les épaules et les bras vers le plafond de pierre taillée, avant de jeter vers son souverain un regard profondément chagriné.

– À part un Druide, personne ne pourrait vous répondre, Immortel. Mes propres capacités me permettent à peine de concevoir l'horreur de cette catastrophe. Entre nous, vous et votre fils êtes peut-être les seuls de cet empire — même de Valdoria — à percevoir la totalité du problème. Il semblerait que les... « animaux » aient moins à pâtir de cette situation...