Étape 40 : Coopérations Incertaines

88 22 7
                                    

          Fael tournait en rond sur le soyeux tapis cyan telle une lionne en cage. Depuis bientôt cinq minutes, elle ne faisait que cela, les doigts entremêlés nerveusement et avec un baragouinage incompréhensible pour ses deux spectateurs impuissants. Aela et Yvain, sagement assis sur deux chaises magnifiques, sculptées avec art et aux rembourrages brodés de fleurs stylisées, contemplaient avec componction le manège inlassable de l'elfe furieuse.

– Combien de temps est-elle capable de tenir ? murmura la jeune fille.
– Une bonne partie de la nuit au moins, je dirais, répondit le garçon, avec un fatalisme amusé.

          Ils avaient été renvoyés vers la chambre où Aela avait dormi sitôt l'annonce d'un « important visiteur » pour le prince. Ce dernier leur avait assuré qu'ils seraient traités comme des hôtes de marque, qu'il ne leur suffisait que de se laisser aller. Sana, quant à elle, avait juste été mise dehors aussi gentiment qu'un vieil animal mal lavé, avec l'ordre de retrouver Kaletvor et de ne surtout pas revenir sans « sous peine de mort immédiate »...

– Pourquoi le prince s'est-il débarrassé de nous ? reprit Yvain, pensif.
– Qu'est-ce que j'en sais... ? répliqua la jeune fille en baissant son regard crispé un peu lumineux de larmes contenues.

          Le prince Kail possédait des informations sur son passé et refusait de les lui communiquer. Il interdisait qu'ils aillent chercher son épée et comptait les emmener avec lui à Kinsereth, la capitale de l'empire, si elle avait bien tout saisi. Qu'il veuille la protéger elle, cela se comprenait, mais en quoi une elfe furieuse et un gamin des rues lui seraient utiles ?

– Rha ! Il faut que je sorte le tuer ce sale fils de...

          Aela se boucha virtuellement les oreilles au langage fleuri et très imagé de Fael. Du peu qu'elle s'imaginait les elfes, la jeune fille sans mémoire se les représentait autrement. Serait-ce celle-ci qui se trouvait différente ? Ou bien tous les êtres de son espèce se comportaient-ils de la même manière ?

– Et cette chambre qu'est scellée magiquement ! Raclure de prince !

         Pendant que Fael continuait de tempêter tel un dragon des flammes enragé, Aela se remit à réfléchir. Une idée folle germa dans son esprit et un détail qui la gênait depuis l'arrivée de ses amis lui sauta soudain aux yeux.

– Yvain, où se trouve la petite boule de poils ?

          Sa question innocente eut le don de stopper l'elfe dans sa ronde infernale, ainsi que de faire ouvrir en grand les yeux paniqués du garçon. Elle sentit à son regard perdu qu'il réfléchissait à toute vitesse, comme si la réponse à cette question lui échappait.

– On est enfermé contre notre gré dans le lieu le plus sécurisé de la ville et tu t'intéresses à une bestiole... ? demanda posément Fael, bien trop sage d'un coup.

          L'expression déterminée de la jeune fille radoucit l'elfe colérique et l'incita à réfléchir. Mais Yvain, immobile et prostré, ne parvenait pas à retrouver le moment exact où il n'avait plus le petit corps chaud de cet animal contre lui – ou dans ses cheveux. Paniqué, il finit par déglutir et répondit la seule idée qu'il jugeait logique.

– Elle a dû tomber quand j'ai fait mon saut dans le vide...
– Pas un mot de plus, Yvain !

          Cette fois, Fael ne plaisantait plus du tout. Ses sourcils froncés et sa bouche pincée annonçaient la couleur ; s'il rajoutait des précisions, elle le découperait sans doute en fines lamelles.

– Fael, tu parviens à utiliser de la magie, non ? La boule de poils permet de se téléporter sur elle... Je ne sais pas comment Nexrim y arrive, mais si elle est dehors, alors nous pouvons nous échapper ! s'enthousiasma Aela.

L'Île de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant