Étape 29 : La Citée aux Merveilles

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          Les derniers rayons du jour embrasaient le ciel d'une lueur de feu consumant l'horizon, lorsqu'ils virent se dresser face à eux les monumentaux murs crème et les toits brillants d'A'Shen'Kra. L'immense cité commerciale étendait ses imposants flancs sur le fleuve Nigurth qu'elle surplombait de toute sa magnificence inquiétante. Et à mesure que le petit groupe s'en rapprochait, ils virent avec plus d'acuité encore le dénivelé entre les eaux marron chargées de limon et le sommet de la ville. Sauf Nexrim qui vivait là la majorité de l'année, aucun de ses compagnons de voyage ne connaissait cette ville imposante rongée par la corruption, l'argent et les voleurs.

– Par la barbe du grand Clodoric... mais c'est immense ! glapit Yvain, pâle comme les arbres morts du désert écarlate.

           Aucune des jeunes femmes n'osa le contredire, tant elles restaient fixées sur la hauteur hallucinante des différents quartiers de la ville. Pour Aela, toute nouveauté la fascinait, puisqu'elle n'avait aucun souvenir du passé, mais elle devait admettre qu'A'Shen'Kra représentait la surprise la plus impressionnante qu'il lui avait été donné de contempler depuis son arrivée. Pour Sana, sa nature de niarosha lui avait toujours fait détester les villes remplies d'humains désagréables envers son peuple et cette citée commerciale, au vu de sa taille, représentait un potentiel non négligeable d'ennuis en perspective pour Sharm — qui s'en fichait et ronronnait vers elle amoureusement. Quant à Fael, surtout habituée aux forêts denses et aux étendues vierges, une ville signifiait toujours un défi de socialisation désagréable. Devoir sourire l'énervait, surtout à des abrutis racistes qui la considèreraient de haut de par sa nature d'elfe !

– Vu qu'il va faire nuit et que Gnul n'aime pas trop rencontrer des étrangers sans être prévenu... Ça vous dirait de prendre une chambre à une auberge pendant que j'm'occupe de mes affaires ? proposa le kérès d'une petite voix détaché d'homme connaissant le terrain et prêt à tout pour se débarrasser de la compagnie encombrante, au moins pour quelques heures.

            Le regard noir de Sana qui le planta fut une réponse des plus éloquente et il soupira. À mesure qu'ils se rapprochaient de la porte massive du sud, il sentait l'énervement le gagner. Emmener Aela dans les quartiers mal famés de la ville le répugnait, sans parler qu'il ne voyait pas l'intérêt d'y trainer également une elfe paumée et Yvain totalement ébaubis.

–N'essaye même pas de me filer entre les doigts, sale kérès ! gronda Sana.

           Il préféra abandonner, le temps d'entrer en ville. Nexrim connaissait l'endroit comme sa poche, il pariait sur une « perte accidentelle » de la compagnie d'une manière fortuite, à cause de la foule d'un marché ou d'un autre. Et comme il fit mine de laisser tomber cette idée, la niarosha se détendit pour apprécier les lieux. La porte sud mesurait une bonne vingtaine de mètres de haut et pouvait faire passer trois riokrônes de front, de quoi clouer la morgue même des plus pédants.

– Qu'est-ce qu'il y a de marqué là-haut ? demanda Aela, admirative.

           Tout le petit groupe s'arrêta à quelques mètres de l'entrée. Pour la majorité, ils n'avaient pas noté la présence des symboles qui ornaient le dessus des portes. Nexrim grimaça avant de répondre, d'un ton détaché et fort peu enclin à s'expliquer ou se lancer dans un cours d'histoire.

– « Par la grâce des Dieux, A'Shen'Kra, la Glorieuse Citée Immortelle et Prospère, au nom du Très Sage Ferkin sera à jamais indépendante, protégée de Kin. »

           Sa récitation lui arracha plusieurs mimiques faciales hilarantes qui intriguèrent Fael. Cette dernière s'intéressait moins à la ville qu'à ses compagnons de route. Et le petit voleur paraissait de plus en plus intelligent qu'il ne voulait bien le montrer de prime abord.

L'Île de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant