Étape 34 : Mystères

112 21 34
                                    

          Une large tache de sang au milieu des pavés témoignait de leur passage. Pour la centième fois peut-être, Sana fit une pause dans leur ascension vers la Place de la Magie, trop épuisée pour gérer à la fois sa douleur et celle de Sharm. Le jeune shia, véritable force de la nature, la suivait courageusement malgré sa plaie béante qui risquait à tout moment de le faire flancher. Leur seul espoir restait Fael et ses sorts de guérison...

          Le lourd vantail contre lequel ils s'étaient effondrés branla un peu sur lui-même avant de céder sous la poigne ferme d'un nain honorable, bien habillé d'une robe en coton ceinturée d'une boucle en argent couverte de runes. Un épais châle sur ses épaules trahissait son petit côté frileux qu'il admettait sans doute très mal, pour un nain. Ces derniers vivaient soit dans les tréfonds de la terre, où il faisait toujours très frais, ou bien au sommet de montagnes enneigées.

– Qu'est-ce que voilà... ?

          Sa voix un peu aiguë dans son visage lisse qui arborait une légère barbe bien coupée, finissait de statuer de la jeunesse toute relative de ce nain. Il fêterait sans doute son centenaire sous peu, ce qui restait très peu pour sa race. Sa main libre approcha une lanterne du pavé, afin de mieux voir la femme vautrée par terre, qui serrait son shia comme une petite fille une peluche. Face à ce spectacle aussi attendrissant que sauvage, le nain émit une grimace et un soupir entendus.

– Vous pouvez marcher, jeune dame ? Et votre animal ?
– O... oui... Pas... loin.

          Il grommela quelque chose sur la témérité des niaroshas avant de lui faire signe de le suivre, ce qu'elle fit sans chercher à comprendre pourquoi ce petit être leur venait en aide. La perte de sang, la fatigue du combat et de la journée entière, sans compter sa surprise face à la projection astrale de Liam, tout l'incitait à désirer une nuit de repos plutôt qu'une discussion stérile.

– Allongez-vous sur le canapé. Je vais allumer.

          La voix bourrue, mais compréhensive de leur hôte, arracha un sourire à Sana. Elle n'avait pas l'habitude d'être bien accueillie, surtout par un nain. Leurs races n'avaient pas tendance à se détester, puisqu'elles vivaient dans des lieux séparés, mais l'orgueil des nains face à leur incapacité de vaincre un niarosha n'améliorait jamais leurs relations. Plongée dans ses pensées, elle ne réussit pas à comprendre comment il parvint à faire autant de lumière aussi vite. Toutes les lampes du salon s'illuminèrent en chœur et répandirent leurs doux rayons avec bienveillance.

           L'odeur de bois ciré et d'herbe perçue à leur entrée dans la maison se transforma alors en certitude qu'ils venaient de pénétrer dans une herboristerie. Des plantes séchaient près de la cheminée, au plafond, sur des cadres, une table ou un meuble réservé à cet usage. La pièce n'avait rien à voir avec un salon... Sana tourna son visage intrigué vers le nain, calme et concentré, qui réalisait une mixture dans un mortier en marmonnant des paroles incompréhensibles.

– Vous êtes herboriste ?

           Il termina ce qu'il écrasait consciencieusement avant de lever ses yeux vers elle. De fines lunettes au bord métallique posé sur le nez, il ressemblait à un mage ou un historien en plein travail.

– Cela vous étonne, je suppose ?
– Ce n'est pas commun, pour un nain.

          Sana ne possédait aucun tact diplomatique, mais ne s'en cachait pas. Personne ne lui avait appris les bonnes manières et personne en dehors de son clan ne l'avait incitée à offrir autre chose que des coups ou des remarques blessantes. Tout cela l'avait rendue franche, honnête, mais particulièrement vexante. Elle le savait, s'en fichait et adorait contempler les réactions de ses victimes. Et même si elle appréciait l'aide imprévue de ce nain, elle conservait une méfiance instinctive d'une personne habituée à être piégée, repoussée, manipulée ou rabaissée.

L'Île de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant