L'Île de Verre

Étape 21 : Sinegale

           Des larmes salées noyaient son visage à moitié enfoncé entre ses bras, qui entouraient ses jambes repliées contre sa poitrine. Pelotonnée comme un animal traqué, entre deux meubles renversés, Aela priait en silence de survivre à cet enfer. Après Nexrim qui n'arrivait pas et Claudius qui l'avait torturée, voilà que l'embarcation où elle se retrouvait enfermée paraissait chavirer ! Sa peur grandissante de sa mort prochaine devenait ridicule face à l'imminence d'une noyade dans cette cabine détestable où elle venait de vivre les pires heures de son existence.

– AELA !

           Un hoquet de crainte instinctive la souleva, juste avant de sentir ses pleurs se tarir, stupéfaite d'avoir entendu la voix du kérès à travers les planches.

– Nex... ?

            Incrédule, la jeune fille allait sortir de sa cachette, quand le navire tangua dangereusement, secoué comme une coquille sur le torrent impétueux d'une rivière. Son cri s'éleva dans l'air, juste avant qu'un autre de terreur insondable n'explosât dans sa gorge, lorsque le toit en bois fut fracassé par une immense lame parcourue d'éclairs scintillants.

– Éloigne-toi Aela !

            La recommandation de Nexrim paraissait superflue aux vues de la peur primale qui secouait l'être terrorisé qu'elle était devenue depuis quelques jours. Fuir Claudius lui avait appris à se cacher et surtout à s'écarter du danger avec une rapidité désarmante. Dissimulée vivement dans l'immense armoire clouée au mur, les deux mains sur ses oreilles, Aela ne bougea pas jusqu'à percevoir une caresse venir frôler ses cheveux. Là elle se recroquevilla un peu plus, prête au pire, s'attendant à tout et n'importe quoi.

           Face à l'attitude traquée et désespérée de sa protégée, Nexrim marmonna encore quelques vulgarités bien senties, bien décidé à faire payer à Claudius tout le mal qu'il lui avait fait. Il ne reconnaissait plus en cette gamine effrayée la jeune fille souriante et pleine de vie rencontrée quelques jours plus tôt.

– Aela... ? C'est moi, Nexrim... C'est fini... Tout est terminé... Viens... Viens dans mes bras.

          Câlin et doux, le petit voleur kérès ne l'avait encore jamais été, sauf peut-être pour la boule de poils recueillie. Mais à cet instant, face à celle qui lui avait sauvé la vie au prix de la sienne, cette fille-enfant qui paraissait plus terrifiée encore que son petit compagnon, il sentit une bouffée de tendresse inattendue. Par des gestes calmes et réconfortants, il l'incita à sortir de sa cachette, avant de remonter avec lui par le pont fracassé qui formait une rampe en bois jusqu'à l'air libre.

           Une fois de retour face à Elga, Nexrim la remercia d'un signe de tête, juste avant de rattraper le corps d'Aela, soudainement évanouie : elle venait d'apercevoir Pelthiar...

           Androse, Yvain, Nexrim et la boule de poils fixaient Elga Tonnefoudre et son premier lieutenant de leurs yeux meurtriers. La chef des pirates, qui n'en avait rien à faire, continuait de boire son jumal, une sorte de jus d'herbes fermentées, d'un regard de profonde indifférence, tandis qu'Orik essayait vainement de leur expliquer la position des Cardingues dans toute cette affaire. L'homme ressemblait à un géant avec sa haute taille et sa carrure incroyable. Allié à cela une musculature avantageuse, une blondeur de soleil et des yeux aussi bleus que le ciel d'été. Oui en vérité, Orik possédait tout pour plaire... sauf peut-être son visage féroce basané tailladé par quatre horribles traces de griffes, dont une qui lui avait fait perdre son œil gauche, ainsi que son bras biomécanique, excellent chef-d'œuvre de conception zriockine. Pour achever son portrait de véritable boucanier des mers, il se plaisait à porter un foulard rouge sur son crâne et un assemblage coloré de chemise, ceinture, pantalon, le tout mêlé à l'armure en cuir qui semblait être la règle chez cette bande de hors-la-loi.