Étape 61 : Into the Darkness

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          Le prince Kail Akim Njarel de l'empire de Kin, alias le Roi-Dragon Kanshinin aussi appelé Kan le Destructeur lançait par moment des regards ennuyés vers le groupe hétéroclite qui le suivait avec docilité. Ils cheminaient à travers la forteresse du Savoir afin d'atteindre son sommet. L'épée légendaire Kaletvor les incitait à aller vers l'Île de Verre inexorablement, malgré tous les dangers qu'elle pouvait comporter. Et lui savait quel chemin emprunter pour cela.

          En vérité, il existait de nombreuses manières différentes pour atteindre Aval'Lon. Et bien qu'il les connaissait toutes, le prince pouvait déduire facilement que la majorité ne leur servirait à rien. Depuis les événements qui ont mené à la disparition des Îles Souveraines et du peuple Leiyong, tous les dragons nommaient l'Ère présente comme « la Grande Nuit », car sitôt Kin morte et lui transformé en bourreau, l'enchaînement des tragédies enfonçait le monde entier dans les ténèbres peu à peu...

           Le Roi-Dragon Kan avait peut-être anéantis les Leiyong, mais il agissait par amour après la perte de la Reine-Dragon Kin, morte des mains même de l'ancien souverain de ce peuple maudit. Kail avait retrouvé ce souvenir en premier, lors de sa première transformation en dragon : le palais royal, un vieillard qui hurlait au sol, une femme qui se dressait face à lui pour sauver le prince...

– Prince ? murmura la voix douce et inquiète d'Aela qui cheminait à ses côtés.

           Un poing sur son cœur, elle agrippait avec timidité la manche de sa longue tenue de tissu rouge carmin brodé d'or. Les grands yeux bleus de la jeune fille plongeaient dans les siens avec intensité et il sentit son cœur se serrer. Il déambulait dans les ténèbres de sa mémoire à la recherche d'une lueur d'espoir. De tous les souvenirs récupérés jusque-là, aucun ne mentionnait une Kin amnésique. En fait, il n'arrivait pas à retrouver son passé entre la chute d'Amonlay et sa présente réincarnation ; un peu comme si trois cents siècles demeuraient au fond de l'eau sombre et refusaient d'émerger. Un abîme éclatant qui refusait de libérer tous ses secrets.

           Un mensonge se tapissait au fond de son esprit, il s'en trouvait de plus en plus persuadé. Lors de son affrontement contre ce Leiyong Sombresang à A'Shen'Kra, il avait senti les chaînes de la vérité lui brûler tout son corps. Il avait réussi à s'en libérer, car il pensait sincèrement n'être pas le vrai responsable de toute cette boucherie, mais il conservait encore ce lien autour de son cœur, comme si retrouver la vérité risquait de réactiver ce sort de révélation. Devait-il le craindre ou l'espérer ? Et plus important encore, jusqu'où cette liaison affectait aussi sa bien-aimée ?

– Kail... quelque chose ne va pas ?
– Où t'es-tu réveillée ?

           Ses pensées s'entrechoquaient tellement qu'il ne parvenait pas à remettre de l'ordre. Il laissa s'échapper la première question d'une liste aussi longue qu'une solienne afin de noyer le poisson sur ses vraies inquiétudes. Mais contre toute attente, l'actuelle réincarnation de Kin réussit encore une fois à le surprendre dans son empathie.

– Je vois. Tu préfères passer tes ennuis sous silence pour me protéger... Mais il faudra bien que tu acceptes que je préfère me battre plutôt que rester derrière. Tu sais... J'ai peur... Je peux m'effondrer à tout moment et ne jamais me réveiller... Au début j'ai été sous le choc. Puis je me suis mise en colère contre ce destin injuste et j'ai fait l'imprudente comme pour faire un pied de nez aux cieux... C'est alors que j'ai été kidnappée, alors j'ai marchandé avec les dieux pour que Nexrim vienne me sauver... Et j'ai pleuré ensuite, de préférence lorsque tout le monde dormait, pour n'inquiéter personne. Lorsqu'enfin j'ai accepté mon état, je t'ai rencontré. Depuis que je t'ai vu, je me sens... apaisée.
" Je me fiche d'être Kin ou une inconnue, je souhaite t'aider. Si tu penses pouvoir me cacher ton cœur rempli de doutes, tu te trompes. Lorsque tu cries sous ta forme de dragon, je t'entends pleurer. Et lorsque tu me contemples avec ton regard humain, j'ai l'impression de contempler des abysses de désespoir. Si je suis vraiment ta compagne, comme tu dis, tu ferais mieux de me laisser t'aider, car te voir te débattre ainsi ne m'aide pas à aller mieux moi-même."

L'Île de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant