L'Île de Verre

Étape 68 : Le Bastion de l'Éther

          Le silence revint dès la fin des explications de l'hologramme de l'Aspect d'Éther. La boule de poils cessa de luire et couina de bonheur de se voir le centre de l'attention générale, ou non. En vérité, tous les regards retournèrent vers Yvain, pétrifié sur place depuis la question de Kaedris. Il avait appris depuis peu sa filiation avec l'Aspect de la Lumière, Erkmès, mais à l'idée qu'il put également être lié à un second lui créait des vertiges.

– Yvain... est un dieu ? souffla Fael d'une voix flûtée.
– Par ma barbe, si un jour on m'avait dit ça, hoqueta Meregrin, Aela serrée contre lui.

          Sana n'émit aucun commentaire et scrutait juste le jeune homme avec toute son attention. Il ne ressemblait pas à une divinité avec ses allures de gamin des rues et son besoin irrépressible d'être dorloté. Pire, son rapport à la magie se rapprochait plus du tir aux cailloux qu'à une maîtrise innée... Pour elle, tout cela ne collait pas.

– Ce sont les peuples qui ont déifié les Aspects, mais si vous considérez des sources originelles de la magie comme des dieux, alors vous pouvez admettre la possibilité qu'Yvain devienne une source, un jour, ronchonna Kaedris.

          Le norvan tira le bras de cet enfant divin d'un geste autoritaire et le plaça face à la porte scellée. Il se remit à parler avant même qu'une personne n'ait le temps de réagir.

– Ta mère t'a légué une partie de ses pouvoirs, tu peux donc ouvrir cette porte.
– Pardon ? demanda Yvain en se réveillant de sa transe.

          Mais Kaedris ne l'entendait pas de cette oreille et lui prit la main pour la poser sur la surface rugueuse, bien à plat.

– Injecte ta magie et répète après moi !

          Affolé à l'extrême, le jeune garçon l'écouta qu'à moitié, non sans paniquer. Il annonça la formule consacrée à sa suite, sans résultat. Les battants de pierre ne bronchèrent pas et rien ne semblait réagir...

– C'est pas vrai...

          Cette fois, le norvan soupira pour de bon et baissa les bras de fatigue. Les instructions laissées par sa déesse pour ouvrir la porte requéraient au moins six maîtres en magie de bon niveau ; il se sentit un peu seul. Plus le temps s'écoulait et plus l'intrus risquait de percevoir leur présence en ces murs, même sans briser le sceau du Baston d'Éther.

– J'ai une idée, avança Nexrim.

          Sans attendre de réponse, il balança la boule de poils entre les bras d'Yvain, retira Kaletvor de son dos et la plaqua contre les lourds battants en pierre avant de récupérer la main libre de son ami et d'aggriper l'arme avec. Leurs doigts entrelacés sur le fourreau contre le symbole d'Ether, il se surprit à prier en silence l'épée légendaire de les aider puis claironna d'une voix forte :

– Moi, Nexrim, fils d'Amela du Klandis Thsia, convoyeur de Kaletvor et Yvain, fils d'Ilyvania et Erkmès, demandons humblement au Bastion de l'Éther de s'ouvrir aux noms des Lois Sacrées d'Aval'Lon...

          Tous les regards scrutaient l'espace de démarcation entre les deux linteaux de pierre, un espoir fou au cœur. Et comme rien ne bougea, un premier soupir de frustration s'échappa de quelques lèvres, avant qu'un cri unanime de joie ne vint le remplacer la seconde suivante : un immense cercle ésotérique aux arabesques d'une complexité affolante apparut dans les airs. Plusieurs lignes intérieures se mouvèrent jusqu'à concorder et disparaître, puis les médianes, enfin les plus extérieures, et un sombre déclic fit vibrer toute la structure.

          Et la terre se mit à trembler...

          Tout le jardin bruissa et verdit dans une bourrasque violente, comme si un flux magique le traversa de part en part. Le palais étincela de lumières multicolores féériques et parut briller tel un diamant. Même les nuages qui entouraient l'île s'inclinèrent pour la laisser affleurer de la ligne d'horizon, ce qui la dévoila aux yeux ébahit des habitants de Sinégale.