Étape 35 : Confrontation

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           L'elfe avançait avec résolution, mais conservait une crainte pernicieuse enfouie dans son cœur. Ses nombreux coups d'œil vers Yvain, hagard et épuisé en cette belle matinée, ne l'aidaient pas à se détendre. Son cas restait un épineux problème pour Fael, qui avait toujours côtoyé la magie avec respect mêlé de haine. Elle représentait un piètre maître, à peine capable d'utiliser des sorts de soin basique ou quelques tours de passe-passe simples. Rien de bien transcendantal, en somme. Et voilà que débarquait dans sa vie un demi-dieu !

          Le père supposé divin de ce garçon prétendait s'appeler Erkmès. S'il disait vrai, il faisait partie des entités dont l'immortalité n'avait jamais été remise en doute ! Il serait un « vrai » dieu ! Le genre d'adversaire à ne pas désirer trouver sur sa route... L'immense question qui valait tout l'or du continent devenait donc « pourquoi les aidait-il ? » L'elfe possédait bien quelques idées, mais rien qui confirmât avec certitude une hypothèse logique. Qu'il laissât son fils faire sa vie ou qu'il ait une mission à lui confier restaient de bonnes théories, mais pourquoi s'était-il révélé maintenant ? Rien ne l'y obligeait...

– Fael ? T'es sûr qu'il fallait se lever aussi tôt... ?

          Encore à moitié endormi, le jeune homme ne ressemblait plus du tout au garçon conquérant et puissant qu'il était la veille, à son éveil. Les premiers contrecoups de l'utilisation massive de magie ne provoquaient pas un état pareil... Sauf que son père avait spécifié qu'il tairait les dons de son fils pour l'entrevue avec le prince de Kin.

« Méfiez-vous de lui. » Avait-il même conclu.
– Nous devons récupérer Aela le plus vite possible. Nexrim saura parfaitement se débrouiller, c'est sa ville et Sana a Sharm pour l'aider, mais ton amie est seule et jeune. Deux bonnes raisons pour lui courir après dès l'aurore.
– C'est ton amie aussi, t'sais...

          L'elfe haussa les yeux au ciel furtivement à cette réponse aussi futile que la première. Ce garçon représentait certainement un formidable potentiel en dormance, mais ses pensées restaient celles d'un gamin immature. Sans daigner le lui faire remarquer, puisqu'il ne se trouvait clairement pas en mesure d'y réfléchir, même en bon état, elle le tira par le col pour l'inciter à avancer plus vite.

           Leur arrivée au troisième étage de la cité commerciale n'avait pas passé inaperçue, mais lorsqu'elle citait un rendez-vous avec le prince de Kin, tous les gardes s'inclinaient et leur proposaient leur escorte. Ce type paraissait être traité comme une divinité vivante ! Cette idée même agaça Fael, qui considérait qu'un « fils d'empereur riche et gâté » ne devait pas être capable de représenter le moindre dieu.

« Méfiez-vous de lui. »

           Elle grimaça encore une fois aux souvenirs de ces paroles sibyllines. Pourquoi n'avait-il pas été plus clair ? Il fallait toujours que les « petits vieux » fassent dans le mystérieux ! Cela lui coûtait quoi de leur dire « il vous veut du mal » ou bien « il n'est pas sûr, il va vous mentir » ?

– Euh... Fael... le pavé t'a fait du mal ?

           Le regard électrique de la jeune femme passa du sol à Yvain, qui rentra aussitôt sa tête dans ses épaules, en attente de la tempête elfique qui menaçait.

– Demande à ton père pour ce prince !
– Quoi, encore ?
– Oui, encore ! Dépêche-toi !

          Yvain grommela quelques mots sur la ténacité des « oreilles pointues », mais un autre coup d'œil noir de son amie l'avertit de ne point trop en faire. Pour la dixième fois depuis son réveil, il se retrouvait donc à réaliser un monologue interne dans l'espoir d'entendre la voix paternelle lui répondre. Et comme toutes les précédentes occurrences, il n'obtint qu'un silence lourd et angoissant.

L'Île de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant