Étape 30 : Un combat perdu d'avance

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Toutes les guildes de voleurs d'A'Shen'Kra se trouvaient représentées, même celles d'un ou deux marchands peu scrupuleux qui engageaient parfois des imbéciles, recalés ailleurs, pour récupérer quelques butins pour leurs commerces équivoques. Nexrim avait d'abord cru à de la curiosité compréhensible de ses collègues, avant que l'avertissement de Sana ne jetât le glas de ses espérances ridicules : ils en avaient tous après l'épée ! Que Gnul ait laissé filtrer le contrat relevait du dragon cracheur de gemmes au bas mot. Est-ce que son idiot de protecteur aurait été trahi ? Ou pire, volé ?

– Je propose un repli stratégique au troisième niveau de cet enfer, suggéra Fael d'un chuchotement léger, mais audible distinctement compte tenu du calme absolu qui régnait sur la placette.

           Après les cris et hurlements des habitants et autres « gens bien » — ou qui prétendaient l'être — du coin, ils se retrouvaient sur la petite cour de la magie, appelée ainsi pour d'obscures raisons dont ils n'avaient rien à faire à cet instant précis. Seulement, ils étaient cernés, tels de la chaire à saucisson, par un épais pourtour d'hommes de main, prêts à tout pour les capturer. Ou au moins, pour le capturer, lui...

– Sana, Fael ? Quoi qu'il arrive, vous protégez Aela, d'accord ? J'suis pas très motivé à mourir jeune, termina-t-il d'un couinement fort peu masculin, mais parfaitement justifié.

           Qu'importait sa propre vie, il préférait encore se tuer s'il devait échouer dans sa mission de protection. Il fallait être suicidaire pour renier un serment fait à un druide !

– Nexrim, je t'interdis de faire cavalier seul, gronda la niarosha aussi bas que possible.

           Il n'eut ni l'occasion de répondre, ni celui d'expliquer son point de vue, qu'une bonne dizaine des spectateurs les plus impatients leur sautaient déjà dessus sans plus attendre. Comme prévu, il remarqua brièvement leurs emblèmes de guildes huppées et respectées. D'un geste d'habitué au maniement des dagues, le kérès expédia son premier adversaire dans le caniveau doté d'une belle cicatrice au bras, de quoi l'handicaper un peu. Il jeta un regard vers l'arrière. Sana en maîtrisait deux sans mal, tandis que Sharm venait d'en plaquer deux autres au sol. Par contre, il fut impressionné par Fael, qui avait balancé Aela et Yvain au centre du groupe, pour mieux gérer les cinq adversaires qui l'avaient prise pour cible.

– Donne-moi cette épée et tes p'tits amis auront la vie sauve, gronda son assaillant revenu à la charge.

           Le visage dissimulé par une capuche et un tissu sur la bouche, comme le voulait leur métier, celui-ci avait trahi son identité en prenant la parole. Allié à l'écusson discret qu'il arborait, Nexrim en déduisit sans mal son nom et donc sa manière de se battre.

– Sois pas abruti, Berdy ! C'pas un objet qu'on refile comme une vieille dague rouillée !

           L'autre gronda d'être ainsi découvert et repartit aussitôt à l'assaut, suivis de deux de ses collègues. Gérer seul ce type n'aurait pas posé plus de soucis, mais face à trois as de la cambriole, le jeune kérès n'en menait plus large. Il esquiva le premier coup en se baissant vers l'arrière autant que possible. Le second le cueillit sur le ventre et le fit tomber d'un lourd bruit métallique. Il ne restait à Berdy qu'à lui planter une dague dans les flancs pour terminer le travail.

– Lai.ssez.le.TRANQUILLE ! explosa Aela.

           Paniquée de se sentir entourée d'autant d'ennemis, elle avait d'abord craint pour la vie de l'elfe jusqu'à la voir tourbillonner et lacérer des fesses comme une danseuse à lames s'amusait à tailler le papier de riz afin de dessiner des ombres chinoises à ses clients. Puis ce fut Sana, qui bien qu'aidée de Sharm, avait toutes les peines du monde à repousser ses assaillants. Avant que son regard ne tombât sur Nexrim, allongé au sol, prêt à se faire embrocher... D'un geste d'une détermination et d'une fureur incommensurable, elle avait ramassé l'une des armes en métal lâchée par l'un des assaillants et qui avait glissé jusqu'à ses pieds, pour la balancer sur l'un des malfrats qui s'en prenait à son guide. Son ami. À Nexrim, quoi.

L'Île de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant