Étape 19 : Sur l'Aureus

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           L'horizon noyé de voiles noirs s'assombrissait encore par des nuages lourds de pluie apportés par les nouveaux venus. Sur la coque de leurs navires, les signes tribaux de leurs îles d'origine et de leurs regroupements claironnaient leur appartenance à l'engeance la plus mal famée des mers : des pirates ! Ils battaient des pavillons différents, mais tous possédaient sur leurs drapeaux le symbole de leur métier : un crâne aux orbites vide sur deux chaînes brisées.

          Leur arrivée désordonnée avec leur flotte composée de tous les navires capables de naviguer ressemblait à s'y méprendre à un joyeux capharnaüm, mais quiconque prenait la haute mer en Valdoria connaissait parfaitement les dangers de sous-estimer ces êtres prêts à tout. Et Makator qui contemplait la taille de l'expédition face à lui comprit immédiatement qu'il avait été trahi !

– Par tous les démons des profondeurs d'Erkris ! Si j'attrape le chien qui m'a vendu à ces raclures de pirate, je lui retire les boyaux avec mes doigts avant de les donner manger à la première bestiole venue ! Et sous ses yeux, encore !

          L'éclat de colère du marchand d'esclaves n'impressionna pas le moins du monde les marins de l'Aureus. L'immense voilier appartenait au Grand Prêtre Claudius et à la ville trois fois sainte de Daeria et cet homme vociférant ces insanités ne possédait, en réalité, aucun pouvoir pour châtier le moindre travailleur des ecclésiales de la Lumière Sacrée.

           Par contre, la cinquantaine de navires qui plombaient la ligne d'horizon par leur seule présence inquiétait bien plus les honnêtes marins. Persuadés par l'église à laquelle ils appartenaient, du caractère hautement diplomatique et primordial de ce voyage, ils n'imaginaient pas une seconde que ces anciens esclaves, bagnards et soudards veuillent les empêcher réellement de passer.

– Il nous suffit de leur faire valoir l'essence officielle de notre périple. S'ils venaient à nous attaquer, nous pourrions déclarer leurs îles pourries comme terre barbare et la revendiquer au nom de Notre Dieu. Simple, voyez-vous ?

           La voix hautaine et paisible de Claudius rassura immédiatement tous les hommes rassemblés sur le pont, autant qu'elle fit courir des murmures de joie des uns aux autres, peu habitués de le rencontrer en personne. Cette fois, ce fut Makator qui grimaça. À son tour de n'être pas plus impressionné que cela par ces fanatiques dévots et leurs idées de souveraineté mondiale !

– Bougre d'âne ! Sans magie, nous sommes voués aux canons ! Ces immondes raclures nous auront coulés avant même que nous ayons le temps de leur parler ! éructa-t-il, furieux.

           Au loin, les voiliers aux tonnages plus ou moins importants fonçaient toujours vers eux en bande désorganisée pour un œil innocent, mais leur ligne s'étirait largement de part et d'autre, bouchant totalement toute possibilité de les esquiver. Si l'Aureus ne commençait-il pas très vite à fuir, il finirait immanquablement encerclé par la petite centaine de navires-pirates venus à sa rencontre.

– Maître timonier ? demanda le Grand Prêtre de sa voix supérieur d'un pédantisme débordant en face à un tel public.
– Je suis à vos ordres, Ô Saint Clodius, que désirez-vous de votre humble serviteur ?

           Un lent sourire sadique éclaira le visage ridé et décharné de l'homme qui se voulait le garant de la foi de Daeria.

– Coulez ces pirates avant qu'ils ne le fassent avec nous.

           Malgré sa désapprobation manifeste, le responsable des quarante-huit canons traditionnels du magnifique voilier de l'Église de la Lumière Sacrée du Dieu Soleil entreprit aussitôt d'aboyer des ordres. Immédiatement, tous les marins immobiles jusque là se mirent à aller et venir dans tous les sens, tandis que le capitaine de l'Aureus, la face blême, émit un signe religieux sur son front. Mais mourir au nom de leur foi les ferait tous entrer au royaume éternel, non ?

L'Île de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant