L'Île de Verre

Hors-Série 1 : La soirée agitée de la boule de poils

Cachée dans les cheveux hirsutes et bouclés d'Yvain, elle couina de toutes ses forces à sentir le vide sous eux. Par petits bonds savamment étudiés, elle se rapprocha de la joue du garçon et essaya tant bien que mal de le réveiller d'une morsure bien placée. Aurait-elle réussi ou bien la force qui planait autour de ce garçon l'aurait-elle secoué ? Quoi qu'il en soit, elle perçut clairement une formidable poussée de magie provenir de son porteur et se recroquevilla contre lui pour en profiter un maximum...

          Le brusque arrêt de leur chute ne la traumatisa pas, car elle appréciait toute la magie qui filtrait d'Yvain, se laissant bercer par les effluves d'énergie pure... Ses petites pattes se relâchèrent malgré elle, tant cet instant de « bain magique » lui procurait un plaisir incroyable.

           La seconde d'après, Yvain remontait sans elle.

          Entièrement détendue, la boule de poil n'avait pas anticipé le départ brusque vers les cieux de son moyen de locomotion et se retrouva propulsée sur le côté, à travers les pieds des badauds interloqués, jusqu'aux cageots de légumes d'un vieillard maigrelet qui fixait les nuages de son air incrédule. L'impact entre le petit animal et le panier provoqua une secousse légère qui fit dégringoler toute la montagne de tomate sur le milieu de la route. Le marchand se mit à couiner de rage de voir ses denrées s'étaler sur le chemin, tandis que les spectateurs s'écartaient vivement. Un capharnaüm incroyable s'en suivit, lorsqu'un chariot tiré par un vieil âne arriva sur ces entre-faits et voulut passer au travers des tomates éparpillées.

           Un sentiment d'abandon et de solitude fit couiner mollement le petit animal pelucheux qui se retrouvait juché sur une pierre afin d'éviter les eaux sales du caniveau. Impossible pour elle de remonter tout là-haut, son seul espoir restait d'attendre qu'Yvain revienne la chercher...
Dissimulée entre deux caisses en bois, elle se mit à patienter de son air triste qu'un de ses compagnons de voyage vienne pour elle. Le soir devint la nuit et le marchand de légumes remballait ses affaires, quand il tomba nez à nez avec la boule de poils.

– C'quoi c'truc ? T'veux manger mes choux ? Dégage !

           Repoussé de son installation de fortune par une claque désagréable, l'animal rond roula sur les pavés jusqu'à une flaque marron qui imbiba son pelage de détritus. Malheureuse, sale et mouillée, elle s'empressa de retrouver un petit coin tranquille... quand deux grands yeux jaunes apparurent dans son champ de vision. Un sha ! Plus petit que les shias, ses lointains ancêtres, le sha représentait le prédateur ultime dans les villes pour les boules de poil dans son genre...

          Un couinement terrifié secoua l'animal lorsque deux mains fines le soulevèrent du sol jusqu'à l'amener devant un visage rond et avenant.

– Qu'est-ce que tu es, petite chose ? Viens, Lucifer, nous avons un nouvel ami !

          Le sha miaula d'un air profondément dégoûté d'avoir perdu sa proie, mais sa propriétaire l'ignora superbement. Elle se remit en marche, suivit par son animal et la boule de poils se laissa faire docilement. Comment pourrait-elle retrouver Yvain sans l'aide d'un moyen de locomotion ? Ses petits yeux étudièrent celui-là, qui dégageait une douce odeur sucrée de magie délicate, bridée par une force aigre aussi sauvage que brutale.

           Son regard minuscule remarqua également le sha qui grondait trop faiblement pour être entendu par sa maîtresse. Ce sale animal en avait après elle !

– Nous voilà rentrés ! Viens que je te fasse un brin de toilette, petit.

           La chaleur agréable d'un lieu douillet incita la boule de poils à observer un peu la maison où ils venaient d'entrer. Véritable antre de magie, cette femme semblait posséder tout ce qui était possible en termes de fournitures diverses : chaudron sur le feu, alambics, livres à foison, fioles aux couleurs vives, herbes séchées et même un corbeau empaillé ! Sans formalité, son hôte l'entraina jusqu'à un bassin rempli d'eau où elle la plongea sans merci.