Chapitre IV : So What

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Si je haïssais cette dimension de ploucs (parce qu'il faut savoir regarder la vérité en face: ce n'est pas parce que vous avez une citrouille qui parle que ça excuse l'absence d'eau courante), au moins je reconnaissais les mérites du bâtiment devant accueillir les prestigieux invités de mon patron. Enfin quand je dis bâtiment vous devez comprendre manoir de mille mètres carré tout en marbre avec ses multiples tours et ses décorations à la feuille d'or. Je me demandai bien comment cette merveille avait pu être construite dans un coin paumé pareil tout en louchant sur un ornement particulièrement alambiqué avec des incrustations de ce qui ressemblaient fortement à des pierres semi-précieuses. Il était peut-être temps pour moi de demander une revalorisation de mon salaire, tiens...

Tandis que je m'avançai calmement vers la porte principale, je tentai de me mettre dans mon rôle de fille vaine et superficielle accro aux diamants. L'avantage c'était que cet étalage de richesses avait de quoi rendre n'importe qui envieux et que je n'aurai pas trop à feindre un regard de convoitise. C'était l'identité que m'avait concocté Maxen, il avait même des clients qui étaient prêt à témoigner sur mon passé d'arnaqueuse professionnelle. Je secouai la tête, renonçant à comprendre ce monde.

"-Halte ! Déclinez votre nom et votre titre, demoiselle ! m'apostropha le garde en charge de la porte.

Dois je vraiment vous rappeler de nouveau que nous sommes dans un monde arriéré ou la prose de cette charmante sentinelle saura le faire à ma place ? Soupirant, je me mis à jouer. C'est-à-dire, je fis mes yeux de biche effarouchée et ai, accidentellement bien-sûr, accentué mon décolleté en me penchant vers l'avant. Est-ce que le garde est tombé dans le piège ?

-Demoiselle, je vous ai posé une question. Pourriez-vous y répondre ? Sinon je serais dans l'obligation de demander à un collègue de vous ramener au portail, me déclara t-il gentiment."

Raté. Froissée dans la maîtrise de mes talents féminins, je m'adressais un post-it mental pour féliciter Maxen dans le choix de ses troupes. Mais je n'avais pas dit mon dernier mot. Lui adressant un sourire plus blanc que blanc, je lui répondit:

"-Désolée, je suis un peu étourdie. Je suis Auxanne...Fuabal, complétais-je après un instant d'hésitation et quatorze insultes en elfique à l'intention de Maxen."

Afin de faire bonne mesure, je battis les cils plus que nécessaire ce qui devait me donner l'air d'une myope ayant perdu sa paire de lunettes style "cul de bouteille". Un brin déconcerté par mon attitude, mon interlocuteur mit cinq bonnes minutes à dénicher la liste des invités. Après l'avoir contemplé avec une expression qui se voulait sans doute concentrée, il releva la tête et m'offrit son équivalent de sourire Colgate. Sauf que le sien souffrait visiblement de son divorce avec sa brosse à dents bien qu'il remonte à plusieurs années auparavant. Ce poignant aperçu de drame social me distraya quelque peu des instructions données.

"-...et après vous continuez tout droit. Vous aurez juste à demander au premier en garde en poste le numéro de votre chambre.

Face à mon regard perdu, il ajouta :

-Vous vous souvenez de votre numéro de chambre ? Je vous l'ai donné il y a quelques minutes.

N'ayant pas la motivation de subir à nouveau sa politesse dentaire, je le rassurai.

-Bien sûr ! Et ne vous inquiétez pas, j'ai un excellent sens de l'orientation !"

Sur ce mensonge éhonté, je me glissai vers la porte en prenant soin de balancer plus que nécessaire mes hanches quand je suis passée à côté de lui. Je jetai un petit coup d'œil dans sa direction et affichai un petit sourire satisfait. Cette fois-ci, il avait bien regardé.

Mais tandis que je passais la porte et pénétrais dans le château, une explosion résonna à l'extérieur. Mes frivolités et mon rôle d'Auxanne envolés, je me retournais vers le garde.

"-C'était prévu ça ?

Il me répondit avec un temps de retard, plus occupé à surveiller anxieusement en direction du bruit qu'à répondre à une invitée.

-Non. Je ne sais pas qui sont les gens qui nous attaquent, mais ils sont suicidaires. Nos défenses sont impénétrables, tenta t-il de se rassurer.

-Vite Demoiselle, rentrez ! hurla un nouveau soldat, apparemment plus soucieux que son collègue de ma présence près de la porte. Venez, je vais vous conduire dans la salle sécurisée réservée aux convives."

Consciente que ma présence ne changerait pas grand chose et qu'insistait pour rester ne ferait qu'éveiller les soupçons je le suivis docilement dans les entrailles du bâtiment.

Nox, Livre I : UmbraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant