Chapitre XI : Liquefy

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Lorsque je me suis réveillée, la nuit avait repris ses droits. Le dôme de la grande verrière au dessus de ma tête me dévoilait la voûte céleste de cette dimension. Je comptais machinalement le nombre de lunes, cherchant en même temps à reconnaître les constellations. Peine perdue, je n'étais jamais venue dans le coin auparavant.

Rassemblant mes forces, je parvins avec difficulté à mouvoir mes muscles douloureux. Je réussis cet exploit à la vitesse d'une limace arthritique octogénaire en poussant qu'un seul cri de plus de 130 décibels. Enfin debout, bien que tremblante, je parvins à faire un pas. Ou plutôt, à tenter de faire un pas. Je soupirais. Le retour jusqu'à ma suite allait être très long.

Tellement long que je mis une heure à faire un trajet qui en avait duré le quart à l'aller. L'unique point positif de l'affaire c'était que je n'avais miraculeusement croisé personne et n'eus donc pas à inventer une excuse embarrassante. Dans le côté des points négatifs il y avait une migraine carabinée, des réponses qui soulevaient encore plus de questions et surtout, une putain de douleur épouvantable dans tout le corps ! Cela me mettait évidemment d'une bonne humeur extrême et lorsque je finis par croiser une personne vivante, un pauvre serviteur innocent, il repartit plus vite que s'il avait eu Lucifer aux trousses tout en priant ses dieux. Ce fut d'une humeur si elle n'était plus joyeuse, au moins plus égale que je repartis en claudiquant. Terroriser des gens, mon petit plaisir.

Ce court intermède comique n'avait cependant pas fait disparaître les soucis de mon pitoyable état de santé. Ce fut donc en serrant les dents plus fort qu'un enfant tient sa tournée durement gagnée le soir d'Halloween que je tapais le code de ma porte. Puis, décidant que je n'avais pas fait assez d'exercice physique, je me dirigeais vers la salle de bain et ses espérés médicaments. Ok, je l'avoue, mon parcours d'obstacle du combattant était une façon de m'excuser avec moi-même sur mon incapacité à marcher normalement. Il n'empêche, après mon entrainement intensif de Seal américain, je pus me gaver d'antidouleurs dans l'extase la plus absolue.

J'étais donc en état d'ouvrir la porte lorsqu'on toqua au battant. Apparemment au vu de la tête de mon interlocuteur, ce n'était pas parce que j'étais capable de me déplacer que j'étais présentable. Une prise de conscience me fit humer mon haleine. La délicate fragrance de "poissons décomposés dans la lueur du petit matin" qui en émergea me fit presque être désolée pour le reste du monde. Presque. Je grommelais néanmoins.

-Que veux-tu ?

-Vous êtes convoquée, ainsi que tous les invités, à une collation matinale. Elle aura lieu à 6 heures dans la grande salle, je vous attendrais une demie-heure à l'avance afin de vous y amener.

-Ce serait dommage qu'un convive se perde, ironisais-je.

-Ça dépend pour qui. Le croquemort serait ravi, répondit-il en haussant les épaules.

Je ne retint pas l'éclat de rire provoqué par sa déclaration. Eh bien, au moins je ne m'ennuierais pas sur le trajet.

-Au moins, je suis contente que se soit toi que Ian ait choisis.

Il leva un sourcil mais ne pipa mot.

-Il me reste combien de temps ?

Sortant une montre à gousset pour le moins surprenante, il agrémenta sa réponse d'un superbe accent de majordome anglais. Vous savez, cet accent dénué d'inflexion mais qui arrive à être snob sans l'être de façon trop flagrante. Je suis quasiment certaine que les études de majordomes sont constituées à 99% de cours de diction.

-Si vous marchez vite, 17 minutes exactement.

Je grimaçais.

-Et si je ne marche pas vite ?

Son deuxième sourcil rejoignit le premier afin de former un charmant accent circonflexe sur son front.

-Et ben je vous conseille de vous hâter alors.

Je fus prête en trois minutes et douze secondes. Mes compétences de gymnaste olympique me permirent de me brosser les dents tout en enfilant un tailleur assez chic pour être acceptable dans la haute mais suffisamment élastique pour me laisser libre de mes mouvements. Des boucles d'oreilles en faux diamants pour couvrir mon identité et du fond de teint (beaucoup de fond de teint) pour ma tête de déterrée.

Une rapide vérification de l'horloge du salon m'apprit que j'avais une trentaine de secondes d'avance. C'était amplement suffisant pour ce que j'avais à faire.

Mon reflet me dévisagea. Malgré mon ravalement de façade à coup de truelle, j'étais simplement épouvantable. J'haussais les épaules et acceptais cette évidence. De toute façon, je n'avais ni le temps ni le talent de m'arranger. Cependant ce n'était pas pour ça que j'avais eu un brusque accès de narcissisme.

Pour tenir le coup, j'allais devoir avoir de nouveau recours à ma forme de Ténébreuse. C'était extrêmement risqué mais paraître faible au milieu d'une meute de loups l'était encore plus. Et pour ceux qui pensais que j'exagérais, je savais pertinemment qu'une petite partie des convives hurlait à chaque pleine lune.

Inspirant profondément, je m'appuyais sur le lavabo et plongeais dans mon propre regard. Il était gris fumée aujourd'hui. C'était la couleur de ma fatigue. Je fis une tentative de sourire. Cela me donna un air encore plus dépressif qu'Amy Winehouse dans ses derniers jours. Bon, je pouvais rayer l'option "sourire" de ma liste, ce qui aurait pu me pénaliser en société. Mais l'assemblée était composée de personnalités beaucoup trop convaincues de leur propre supériorité donc un air hautain conviendra parfaitement.

Cessant de tergiverser, j'appelais à ma part sombre. J'attendis que la familière sensation de puissance, qui venait avec ma forme de Ténébreuse, m'envahisse. Au bout de quelques secondes d'attente je dus me résoudre, abasourdie. Je ne pouvais avoir recours à ma magie !

Comment la silhouette avait réussi à neutraliser mes pouvoirs, je n'en avais aucune idée, mais c'était un euphémisme de dire que cela ne m'arrangeait pas. Il était de plus en plus dur de faire preuve de positivisme. Je me retrouvais prise en otage par le serviteur de mon pire ennemi, avec mon ami porté disparu, éreintée par une rencontre mystérieuse et désormais privée de magie dans un château que je ne connaissais pas dans une dimension tout aussi inconnue. Bref j'étais plus faible qu'un chaton. Et sacrément moins mignonne.

Certains auraient pleuré. D'autres se seraient découragés. Moi je fis la seule chose qui me permettait de me sentir en sécurité. Mon arbalète aurait été trop voyante et difficile à cacher, mais rien de m'empêchais d'avoir quelques armes sur moi. Certes cela ne me sera d'aucune utilité en cas d'affrontement avec un démon par exemple, car quelque soit la taille de votre bout d'acier forgé, ce sera forcément insuffisant face à une personne pouvant soulever d'une main un éléphant doté d'une carte de fidélité chez McDonald's. Mais cela me donnait l'impression d'avoir une chance de pouvoir pencher la balance en ma faveur et surtout, d'avoir repris le contrôle de ma vie. Oui je sais, c'est complétement stupide de penser que le contrôle de notre vie dépendait de notre capacité potentielle à tuer. Si c'était une pathologie mentale, je ne savais pas laquelle c'était. Ceux qui le savait, merci de m'envoyer un mail sur ma boîte Gmail J3SuisLaM3ill3ur3, comme ça je pourrais l'ajouter sur mon C.V.

Quand le valet à l'accent de majordome entra dans la pièce, il leva ses deux sourcils en voyant mon attirail. Apparemment la vision d'une vingtaine de poignards (dont deux dagues accrochés dans mon dos et onze stylets dissimulés partout sur mon corps) arrivait encore à faire sourciller le serviteur d'un palais de mages. Néanmoins, ce fut d'un ton toujours aussi égal qu'il me demanda si j'étais prête. Un bref regard regard sur ma tenue. Peut-être n'avais je aucune compétence pour camoufler mon visage avec du maquillage mais quand il s'agissait d'armes, j'étais championne toute catégorie. Aucune bosse ne déformait mon tailleur, un exploit que semblait apprécier mon unique spectateur. Un hochement de tête pour signal et nous voilà dans le couloir, en direction de la grande salle.

En espérant que je survivrai aux inévitables confrontations qui m'attendaient.

Nox, Livre I : UmbraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant