Chapitre XXVIII : Cry Baby

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Je me précipitais à ses côtés, attrapant sa main trop pâle pour prendre son pouls. Le temps qui séparait ses palpitations cardiaques s'étirait, se dilatait jusqu'à l'extrême en un moment insupportable avant d'éclater avec le soulagement de sentir un battement, aussi ténu soit-il.

Automatiquement je laissais mes habitudes acquises de mon mercenariat prendre le dessus. D'abord palper le corps pour trouver les blessures et estimer les plus graves. Puisque Maxen était un Immortel, contrairement à moi, je devais en priorité inspecter sa cage thoracique pour éviter les fractures pouvant comprimer son cœur. Si ce n'était pas le cas, il avait néanmoins un poumon percé par une côté brisée ce qui expliquait sa respiration superficielle. Le reste de son corps n'était pas en reste puisque des balafres sanguinolentes recouvraient le long de ses jambes et que son bras gauche était anormalement tordu. De plus, sa pommette droite était aussi éclatée que son nez, ne faisant qu'empirer son état.

Je ne pus le retourner sur le ventre, ce n'aurait pas été une bonne idée, mais en considérant la quantité de son sang qui maculait le sol, son dos ne devait pas être beau à voir. Et c'était sans compter le nombre effrayant d'hématomes de formes et couleurs diverses et variées recouvrant sa peau exsangue. Face à ce constat désastreux, je dus m'arrêter un instant pour reprendre mon souffle. J'avais rarement été exposée à des blessures de cette ampleur, certes j'étais une mercenaire mais j'œuvrais derrière les rideaux pas sur le champ de bataille. Habituellement les seules plaies que j'avais à soigner était éventuellement les miennes et si c'était vraiment grave, je faisais appel à un des Guérissorciers de Maxen. Mais puisqu'il reposait livide sur le plancher vitrifié, ce n'était pas une option. Et ce n'était pas mes piètres compétences de médecin qui allaient l'aider.

Alors que je méditais sur les possibilités que j'avais à ma disposition pour le soigner, quelqu'un passa la porte. Pour ensuite sursauter face à l'arbalète pointée vers sa tête.

-On se calme, ce n'est que moi, Faelan, dit-il prudemment. Ce n'est pas la peine d'essayer d'attenter à ma vie. Puis de toute façon, qu'aurais-tu fait sans carreau ? ajouta le vampire avec un petit sourire.

-Ça, ce n'est pas ton affaire, répondis-je sèchement. Par contre sauver ton patron, oui.

Faelan s'approcha lentement de moi, faisant attention à ne pas avoir l'air offensif. Ses écailles, bien qu'étant moins présentes que lors de la réunion, reflétèrent en partie la lumière de la salle, ajoutant des touches irisées à ses traits. Maintenant que je savais qu'il portait une illusion, je ne pouvais m'empêcher de chercher du regard l'artéfact lui permettant de la maintenir. Parce que si les vampires étaient doués en manipulation, ils n'avaient aucun pouvoir inné leur permettant de se dissimuler à la manière d'un illusionniste. Mais ils n'avaient pas d'écailles non plus. Du coup, j'avais un mystère ambulant face à moi.

-Déjà, ce n'est pas mon patron. C'est juste le dirigeant de la section espionnage de l'ACE, je ne lui dois pas obéissance. Par contre, ça nous mettrait vraiment dans un bor-...une panade pas possible si il se faisait capturer, précisa t-il. Du coup, on va devoir le déplacer rapidement jusqu'à un point sûr.

Je ramenais mon arbalète contre mon flanc, mais ne relâchant pas pour autant la posture protectrice que j'avais machinalement adoptée pour défendre Maxen.

-Pourquoi rapidement ? Son état ne nous le permet pas et ce n'est pas comme si nous étions pressés, lui demandais-je néanmoins.

Ma question parut le surprendre, la surprise paralysant les traits de son visage un court instant avant de s'animer de compréhension.

-J'avais oublié que tu n'avais pas assisté à toute la bataille, s'excusa t-il. Tous n'ont pas eu la chance de pouvoir s'enfuir grâce à un portail de gobelin.

-Oh oui, quelle chance ai-je eue de me faire kidnapper en effet, grinçais-je des dents.

Son ton devint soudainement plus grave en entendant ma remarque.

-Oui, c'est une chance, quoi que tu en penses. Il y a eu des morts et la seule raison pour laquelle nous n'y sommes pas tous passés, ce fut l'intervention héroïque de l'Amplificateur de la délégation fae. Il s'est interposé entre Ian et un hengeyokai en hurlant "Assez de sang pour un soir, souvenez-vous de Mogan !".

-Qu'est-ce qu'un hengeyokai? l'interrompis-je. Et qui est "Mogan" ?

-C'est une espèce de changeurs de forme à moitié fantôme et pour le deuxième je ne sais pas, mais ça a eu de l'impact. Le démon s'est immédiatement immobilisé, puis après avoir expiré longuement, a alors déclaré que nous avions 24 heures avant que le château ne soit considéré comme un territoire de l'Empire Pandémoniaque. Ensuite il a attrapé la tête du fae avant de le projeter contre le sol, lui susurrant par la même occasion qu'il avait intérêt à profité de sa dernière journée à vivre. La délégation fae a rejeté la responsabilité de ses actes, ne voulant pas donner une raison supplémentaire aux démons d'envahir leurs terres.

À cette révélation, j'haussais mon sourcil de surprise. Nathan s'était interposé pour la deuxième fois entre le démon et une victime, cela commençait à faire beaucoup. Son visage impassible lors de la réunion me surprenait plus après une telle déclaration. Au contraire la réaction des faes me semblait logique, ils pensaient avant tout au bien-être collectif. De plus, nous étions dans une réunion politique à peine dissimulée et l'opportunisme était donc de rigueur. L'ultimatum était déjà assez problématique pour être de plus le messager d'une déclaration de guerre.

-C'est pour cela que nous avons accéléré la date prévue pour la réunion, continua le vampire. Mais tous le monde a préféré préparer leurs affaires, c'est pourquoi elle fut si tardive. L'arrivée de seigneur Calas est d'autant plus une surprise, ce qui me laisse penser qu'il y a toujours eu une personne au courant de ses activités. Mais seul lui peut nous le révéler.

J'agrippais la main de Maxen compulsivement, comme si cela pouvait le réveiller et que tout irait mieux. Mais cela faisait longtemps que je ne croyais plus aux contes de fées et ce n'était pas son état physique qui allait me contredire. J'inspirais profondément, demandant une dernière information avant de prendre ma décision.

-Je suppose que nous avons eu droit à 24 heures de répit en vertu d'une loi de guerre qui m'est inconnue et que nous approchons de la fin du temps imparti ?

-Il reste moins d'une heure. Mais ce ne serait pas surprenant que les démons empiètent sur les heures promises. C'est pourquoi il faut nous dépêcher de le mettre en sécurité, me déclara t-il en désignant le sorcier d'un bref mouvement de sa tête écailleuse. Une partie du château a déjà été sécurisée par l'ACE, tu y es même passée pendant ton sommeil mais Valentia voulait t'interroger personnellement. Tous les autres y sont déjà.

Cela expliquait les visions psychédéliques de créatures étranges, finalement je n'étais pas encore complétement folle. Je soupçonnais que la création d'une partie "demon free" devait avoir commencé dès le moment où Ian a posé son pied botté sur les dalles en marbre du château tant les invités étaient réfractaires à Luc. Point de vue que je comprenais parfaitement et partageais, conséquence d'être menacée de mort. Assemblant tous les renseignements pour tenter d'en faire un plan correct, je pris le temps de regarder le visage de plus en plus livide Maxen avant de lui répondre. Peut-être que le temps filait pour nous, mais c'était encore plus vrai pour lui.

-Il faut lui trouver un médecin. Il a beau être un Immortel, nous ne pouvons nous permettre d'avoir un poids mort si nous entrons en période de guerre. De même, il va devenir de plus en plus urgent de trouver les stèles empêchant la téléportation.

-Pour les stèles, nous avons déjà une équipe qui s'en charge, même si nous savons que les démons ont du les camoufler magiquement en plus de les protéger, me signala le vampire.

-Et pour le médecin ? lui rappelais-je.

Faelan me contempla avec une lueur de pitié au fond de ses yeux de jade.

-Nous allons l'emmener au quartier de l'ACE afin qu'il ne tombe pas aux mains de l'ennemi, peut-être même arriverons- nous à extirper quelques-unes des informations primordiales mais le médecin ne viendra pas. Ce sera le croque-mort.

Nox, Livre I : UmbraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant