Chapitre XXII : Dope

2.9K 466 60
                                    

Mon état de catalepsie ne fut pas remarqué par ma ravisseuse. Ou alors elle ne s'en préoccupa plus que ça. Après tout, un otage catatonique est un otage calme.

Mon regard vitreux restant fixé sur ma version personnelle de l'enfer, elle et Valentia commencèrent à dialoguer comme deux commères dans un salon de thé. La seule différence était que la chambre d'ambre imposait plus que la maison de leur grand-mère et que, généralement, on n'invitait pas de dragon pour prendre le thé. Allez savoir pourquoi.

-Bon maintenant que tu as bien voulu nous accorder ta présence, comment as-tu l'intention de nous sortir d'ici ? lui demanda la sorcière.

Sa remarque me tira de ma catalepsie.

-Attends, ça veux dire que tu n'avais aucun plan ?

Je ne vis pas sa moue mais la devinai aisément tordre son visage de dédain.

-Bien sûr que si. Attendre Kimcila pour qu'elle nous trouve une sortie est un plan. Ça a même un nom, déléguer.

Heureusement qu'elle me menaçait avec sa lame sinon je crois que sa fierté n'aurait jamais survécue à mon éclat de rire.

La monstruosité fuchsia m'adressa un regard. Brrr...je crois n'avoir jamais été aussi effrayée par un regard aussi cerné de faux cils.

-C'te étrange, j'dirais presqu'tu m'aimes pas. C'te sentiment est bizarre, peuchère.

Je me suis retrouvé dans une situation des plus inhabituelles, tellement tétanisée que j'en étais aphone. Moi, aphone ! Incapable de répondre, d'ironiser, d'émettre le moindre sarcasme.

Face à mon mutisme, la gobeline commença à s'inquiéter.

-S'cusez môa, mais l'est tout l'temps cômme ça la petiote ? Parce que c'est pas cômme si c'tait déjà assez compliquay mais un peu si quand même.

La duchesse s'impatienta.

-Mais oui ne t'inquiètes pas. Elle est juste un peu choquée de sortir de sa campagne, tu sais comment ça se passe dès qu'un paysan se ramène en ville. Puis de toute façon, je ne te paierai la moitié restante qu'à l'arrivée.

La robe rose haussa les épaules.

-D'te façon, s'vous qui payez, c'vous qui voyez.

Elle m'attrapa la main avec une mine compatissante.

-Quant'à tôa, t'inquiètes pas. Après quelques'temps tu t'habitueras. T'verras qu'tu voudras même plus partir ! Comme ça, ta marraine s'ra plus obligée de t'empêcher de fuir !

Sa remarque fit momentanément disparaître ma stupéfaction. Comme ça, j'étais censée être la pauvre petite filleule venue de la campagne ? Si mon enlèvement était planifié, cela changeait complétement la donne.

Mais apparemment, j'allais devoir attendre un peu avant d'en savoir plus.

Ma toute nouvelle marraine me fit tourner pour placer mon visage face au sien, sans jamais relâcher sa prise et sur sa lame et sur ma gorge. Ce fut avec une expression des plus révélatrices de la jubilation qui l'habitait qu'elle me susurra :

-C'est justement parce que je tiens à toi que je ne veux pas que tu fuis. Tu comprends, ça pourrait être dangereux pour toi et puis, après toutes tes fugues, c'est dur de te faire confiance.
Mais ne t'inquiètes pas, j'ai une solution pour toi.

Je me raidis. Croyez-moi, lorsque vous entendez une sorcière suffisamment puissante pour se voir décerner le titre de "Duchesse" par la quasi-totalité des maginarchies, vous pouvez vous inquiéter. Et au vu du sourire qui altéra sa plastique parfaite, elle en était plus que consciente.

-Ypnôdès, me souffla t-elle alors au visage de sa voix emplie de magie.

Aussitôt mes paupières devinrent lourdes et je m'effondrais, incapable de rester debout. Alors que je gisais sur le sol, Kimcila se rapprocha de moi. Sa voix m'arriva difficilement, comme déformée.

-Ne t'inquiètes pas, tata Kim s'occup'ra bien de tôa.

Sur ces mots, elle m'attrapa par la taille et me déposa sur son épaule avec une force surprenante pour quelqu'un mesurant moins d'un mètre cinquante. J'eus à peine le temps de voir l'éclat doré d'un portail avant de perdre toute notion du temps.

Je flottais. Mon corps était brûlant et glacé à la fois, mes sens étaient agressés de toute part. Mes pensées se formulaient et se défaisaient en un instant, n'arrivant pas à se fixer. Les images et les sons me parvenaient avec du retard, brouillés et distordus.

Je crus voir quelques uns des Peaux-Cristaux et leur épiderme de cristal incassable aperçus lors de mon tour dans le parc plus de vingt-quatre heures auparavant, mais pas que. D'étranges visions de golems recouverts de symboles inconnus, d'insectes à taille humaine aux chitines bariolées et même un ange avec un chapeau extravagant peinant à dissimuler son auréole. Des mots s'entrechoquaient, des consonnes heurtant des voyelles avant de se mélanger en des syllabes incompréhensibles. Je luttais pour rester consciente, tenter de comprendre. Mais la magie de Valentia dut aboutir car lorsque je m'éveillai, ce fut pour me trouver assise sur une chaise avec mes deux mains ligotées dans mon dos.

Sachant que me débattre serait inutile, je secouai la tête pour éclaircir mes idées après cette balade au pays imaginaire et en profitai pour tester discrètement mes liens. Mon expérience de mercenaire en applaudit l'investigateur qui avait bien écouté lors de son stage chez les boy-scouts, j'étais incapable de remuer la moindre phalange.

Continuant d'analyser mon environnement, je m'étirai le cou pour dissiper les crampes s'y étant logé durant mon voyage. Outre l'odeur de térébenthine qui attaquait mes narines, les murs étaient étrangement semblables à ceux de ma suite. Même moulure, même style sobre et élégant de décoration. Néanmoins je repérais des différences me permettant d'être sûre de ne pas y être. Elles étaient subtiles, comme le choix des thèmes des tableaux ou encore par les tapis bariolés qui recouvraient le sol, cependant elles me confortaient dans ma première impression.

Ne voyant aucun être vivant autour de moi et ne disposant d'aucune horloge à portée de vue, je dus me résoudre à patienter. Cette décision dura approximativement deux secondes, ce qui relevait du record vu les circonstances (non pas que je sois habituée à être kidnappée, j'ai une fierté tout de même). Il n'était pas question de rester immobile tel un veau à abattoir.

Je gigotai sur ma chaise, réussissant à la décaler de quelques centimètres et repoussant les bords du tapis. Me tordant le cou, je vis qu'il servait en fait à dissimuler un pentacle tracé à même le sol avec de la craies. Je fronçai les sourcils et après quelques minutes à fouiller les abîmes de ma mémoire, réussis à reconnaître certains des glyphes qui couraient le long des lignes. D'après mes maigres connaissances, c'était un sort me rendant indétectable aux tentatives de localisations magiques et renforçant la solidité de mes liens. Comme quoi, les boy-scouts s'étaient dépassés.

Cependant, ma tentative de déplacement s'était soldée par au moins un aspect positif. Je m'étais décalée par rapport à la lampe, seule source de lumière de la pièce, créant ainsi une zone d'ombre sur ma cuisse. De légères particules évoquant de la fumée s'en élevèrent.

Une joie indicible m'envahit en même temps qu'un sourire mauvais découvrit mes canines.

La Ténébreuse était de retour.

Nox, Livre I : UmbraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant