J'avais dû finir par m'endormir, incapable de rester à tourner en rond dans cette chambre où j'étais barricadée depuis plusieurs heures. J'étais toujours dans ma grande robe noire, emmitouflée dans des draps frais, quand je sentis une petite langue me léchouiller la joue. A moitié endormie, j'entrevis le petit chiot blanc, un œil fermé par une vilaine blessure. Les bruits de combat s'étaient calmés et, alors que je voyais le chiot s'éloigner pour devenir une immense silhouette dans l'embrasure de la fenêtre, seulement éclairée par la lumière de la lune, je me rendormis, étrangement apaisée.
Ce fut le soleil dans mes yeux qui me tira définitivement de mon sommeil. J'étais toujours habillée dans ma tenue de sorcière, mais ma porte n'était plus barricadée ; quelqu'un était passé pendant la nuit.
Je n'en pouvais plus de rester enfermée dans cette pièce. Je poussai la porte pour observer dans le couloir. Personne. Aucun bruit ne venait des pièces du couloir, donnant sur les chambres des différents membres de la famille Sanders, mais en revanche, des sons de conversation provenaient du rez-de-chaussée. Ignorant le froid que me procurait mes pieds nus sur le sol de pierre des vieux escaliers de cette maison, je descendais timidement. Jack avait déjà senti ma présence puisqu'il était déjà là, au pied de l'escalier, à m'attendre.
Parfait, c'était lui que je voulais voir.
« Dis, ça finit toujours comme ça, vos petites sauteries entre loups ? Par un bain de sang ?
-Mets tes chaussures, on doit partir en voiture. » me dit-il pour toute réponse.
Je soupirai. Quel rustre. Il avait un sale coquard à l'œil, et évidemment, aucune réponse à me donner sur les résultats de la bataille d'hier soir. « Hé ! l'interpellai-je. Comment ça s'est fini ? Gladys et Mary vont bien ?
-Oui, me répondit-il enfin. Mary se porte comme un charme, elle a dû abattre trois ou quatre loups ennemis avant d'être rappelée à l'ordre par son Bêta. Pour se faire pardonner, tous les guerriers de la Meute se sont vu offrir le petit-déjeuner dans la salle à manger. Par contre, Gladys a été mordue à l'épaule et Joseph s'occupe d'elle. Pour une raison inconnue, elle vomit ses tripes depuis qu'elle est rentrée. »
Vu son ton nonchalant, la Meute n'avait perdu aucun loup. En revanche, observai-je en me chaussant, ils s'étaient rudement battus. Assise sur l'escalier, je pouvais voir les colosses en train de grignoter des carcasses d'animaux, recouverts d'égratignures pour les plus chanceux, et avec un œil en moins pour les plus blessés. Mary m'adressa un petit sourire. Apparemment, la petite princesse de la communauté avait été bien protégée : elle était aussi intacte que durant la fête.
Au moins, personne n'était mort. J'étais soulagée, mais je n'eus pas le temps de célébrer cette victoire des Sang-Noir puisque Jack m'attrapa par le poignet de sa pogne monstrueuse et m'attira vers la porte. Je m'apprêtai à pousser une exclamation face à une force qui allait probablement me briser les os, quand je réalisai que son toucher était en fait relativement délicat. Et est-ce que cette brute rougissait comme un adolescent prenant la main de sa petite amie pour la première fois ?
Il m'emmena vers un vieux pick-up à la peinture rouge rouillée. Sans poser de questions pour l'instant, je m'y installai. Le symbole des Sang-Noir, un loup stylisé, était accroché au rétroviseur intérieur. Classique. Jack alluma le contact mais paraissait assez nerveux : il avait les joues encore un peu roses et quelques gouttes de sueur perlaient sur son front. « Tu me ramènes chez moi, hein ? » demandai-je.
S'il m'emmenait chasser ou faire une quelconque activité de loup-garou, je descendais de la voiture en marche. « A peu près, me répondit-il en passant une vitesse.
-On ne peut pas rentrer à peu près chez soi, fis-je remarquer.
-Je t'expliquerais là-bas, marmonna-t-il.
-Qu'est-ce que tu as ? Tu es bizarre. »
Je ne connaissais pas grand-chose au système des âmes-sœurs, mais je le sentais tendu comme une corde d'arc. Il resta silencieux avant de marmonner à nouveau. Je saisis quelque chose ressemblant à Rièrefoafiture. « Hein ?
-C'est la première fois que j'emmène une fille en voiture ! »
Il y eut un instant de blanc puis j'éclatai de rire. Ma petite personne arrivait à rendre nerveux un Alpha d'un mètre quatre-vingt-quinze capable de se battre à la machette. « Quoi ? Mais les filles ne se jetaient pas à ton cou, au lycée ?
-Je les repoussais toutes, fit-il, mortifié. Je n'aime pas faire la conversation, c'est Gladys qui est douée pour ça. »
Ah, ça expliquait le côté stoïque et la fameuse légende du mauvais caractère de Jack Sanders. « Pourtant, tu aimais bien faire le malin, en jouant l'Alpha à qui j'étais censée appartenir, avec tes sœurs.
-Avec mes sœurs... C'est différent. C'est bien les seules, d'ailleurs. »
Il sembla se concentrer sur la route, puis grogna entre ses dents : « Et puis c'est vrai, tu m'appartiens. Je n'y peux rien, moi. C'est ma nature de loup qui le veut.
-Oui, comme ta nature de loup exige que tu te jettes à pleines dents sur des carcasses sanguinolentes. » ironisai-je.
Nous quittâmes le quartier boisé appartenant à la Meute pour revenir vers la zone du lycée. Je frissonnai en me me rappelant des mots de Joseph, hier soir, dans les toilettes. Ils ont mis à sac sa résidence étudiante.
En arrivant devant mon lieu de résidence, je me précipitai en dehors du pick-up. Mon bureau, mon précieux bureau sur lequel j'étudiais depuis déjà deux ans était en miettes, en bas de l'immeuble ! Il avait été jeté par la fenêtre, écrasé comme un fruit pourri avec pour décoration supplémentaire tous mes livres de classe. « Les sauvages... » murmurai-je.
Je courrai à l'intérieur, talonnée par Jack. Ma chambre étudiante était complètement dévastée.
Mon lit avait été poussé contre le mur mais les draps étaient pendus comme des rideaux contre la fenêtre, avec une inscription inratable « Sale Louveteau ». Tous mes coussins étaient éventrés, comme mes peluches. Mes livres étaient déchirés, mes photos aussi, mon tapis brûlé et ma guirlande de loupiotes brisée en mille morceaux. Mes habits étaient broyés, éparpillés au sol pour ajouter une touche de couleur à ce désordre.
Apparemment, j'étais plus devenue un moyen de pression pour les Sang-Noir que celle qui aiderait à sauver leur Meute. Sans m'en rendre compte, je sanglotai comme un bébé à la vue de toute ma vie massacrée sur le sol. « Qui... Qui a fait ça ?
-Une Meute ennemie. Mes Omégas sont sur le coup pour dénicher leur chef, répondit Jack.
-Pourquoi ils ont... ?
-Ils pensaient que tu étais chez toi et ils voulaient sûrement t'enlever... ou pire. Il y avait des Sang-Noir qui n'étaient pas à la fête qui sont venus nous le signaler pendant la cérémonie. »
Je reniflai. Dans quoi je m'étais fourrée ? Ils en voulaient à Jack en premier lieu, et je m'étais fichue en première ligne de leur fureur. A qui devais-je en vouloir ? A eux ou au chiot qui me servait d'âme-sœur ?
Ce dernier posa sur moi une main qui englobait toute mon épaule. « Je le voulais dès le début, mais Gladys m'en a empêché. Viens vivre chez nous. »
La proposition était tentante, surtout qu'actuellement, mon lit servait d'agrément à une œuvre d'art impliquant mes draps dans ma chambre étudiante. Mais j'hésitais. Je relevai la tête vers Jack qui leva un sourcil en m'attirant, l'air de dire « Alors ? »
Je ne sais pas pourquoi je me sentais protégée alors que cette chose me dépassant de deux têtes n'était qu'un pauvre louveteau, mais il y avait quelque chose dans ses yeux qui me poussa à acquiescer docilement.
VOUS LISEZ
Le grand méchant toutou
Manusia Serigala{Histoire terminée} Jack Sanders avait tout pour être l'Alpha idéal. Tout... sauf la bonne forme. Leader de la Meute des Sang-Noir, réputée pour ses immenses loups, il était grand, fort et protecteur. Mais voilà : entouré de sa troupe de monstres ma...