Chapitre 17

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Chapitre 17

Le père d'Ahmet, Hasan Öztürk, n'était pas un intellectuel. Il écrivait mal, et avait beaucoup de difficultés à lire. En revanche, il savait très bien compter son argent. Hasan aimait l'odeur du sang et de la sueur, les cris des combattants, et les paris qui lui rapportaient abondamment. Il prenait un plaisir pervers à forcer son jeune fils à assister à ses combats clandestins. Ahmet était terrifié. Heureusement, sa mère, Ayda, était un ange de douceur. Quand Ahmet rentrait traumatisé par un combat particulièrement sanglant, elle lui faisait couler un bain plein de mousse et lui préparait des baklavas. C'était une femme cultivée : elle lui avait appris à parler l'italien, qu'elle connaissait grâce à son père, qui avait séjourné à Naples. Elle était petite, mais très jolie, avec de grands yeux noirs et timides, semblables à ceux d'une biche. Hasan, en revanche, tenait plus du bouledogue. Difficile d'imaginer un couple plus mal assorti.

À quinze ans, Ahmet avait rencontré Salim. C'était le plus beau garçon qu'il ait jamais vu, avec des yeux verts magnifiques et d'épais cheveux noirs. Il était très vite tombé amoureux. Et il avait compris que son père, qui l'entraînait depuis quelques temps à la boxe, bien qu'il soit nul, ne tolérerait jamais une telle « particularité ». En souffrance, Ahmet avait fini par se confier à sa mère. Ayda s'était passée une main sur le visage, puis avait téléphoné à un mystérieux interlocuteur. Le lendemain, Antonio Cavaleri et son second, Salvatore Umberto, arrivaient à Istanbul.

Ahmet avait été impressionné par ce duo, l'un souriant et toujours à l'aise, l'autre sombre et sur le qui-vive. Ayda leur avait présenté son fils, discrètement, sans que son mari ne le sache.

- Voici mon garçon, Ahmet. Il faut le protéger.

- De quoi, ma chère ? avait demandé Antonio.

- De son père.

- Pourquoi ?

- Ahmet est amoureux d'un garçon.

Cette phrase avait semblé tout expliquer. Antonio avait échangé un long regard avec Salvatore.

- Votre père, Ayda, était un grand ami à moi. En revanche, votre mari...

- Ce n'est pas un homme bien, avait murmuré la mère d'Ahmet. Il pourrait le tuer s'il apprenait que mon petit est...

- Homosexuel, avait complété Antonio. Il n'y a rien de pire que l'intolérance.

- Emmenez-le en Italie. Là-bas, il pourra faire des études, pas des combats. Je peux payer...

- Inutile, ma chère ! Nous emmènerons Ahmet à Frosinone, à la Pension. Il ira à l'université.

- C'est un garçon brillant, avait insisté Ayda. Il pourra travailler pour vous.

- Il fera ce qu'il a envie de faire. Viens, mon garçon.

Ahmet avait agrippé sa mère par la main.

- Maman ! Viens aussi !

- Ce n'est pas possible, mon petit. Je dois rester avec ton père. Je t'écrierai.

Ahmet était parti avec Antonio et Salvatore. Il avait reçu une dizaine de lettres de sa mère, puis elle était morte, d'un cancer foudroyant. Seule la présence affectueuse de Kate et des autres habitants de la Pension lui avait permis de tenir le coup.

Il ne savait pas ce qu'était devenu son père. Sans doute était-il encore en train d'organiser des combats répugnants dans des sous-sols crasseux, à Istanbul, une ville qui n'avait jamais quitté le cœur d'Ahmet, qui souhaitait y retourner un jour, marcher dans les rues animées, aller sur la tombe de sa mère, prier à Sainte-Sophie ou à la Mosquée bleue, regarder le soleil se coucher sur le Bosphore. Et, peut-être, revoir Salim.

La Villa Gialla : Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant