Chapitre 12

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Chapitre 12

Mama commençait à trouver le temps long. Les jours s'écoulaient, chauds, humides et interminables. Le campement vivait au rythme du général Kabara et de son égo surdimensionné. Sa tente, presque aussi grande que toutes les autres réunies, accueillait un véritable musée dédié à sa petite personne, qu'il avait fait consciencieusement visiter à Mama.

Célestin avait commencé par lui montrer son album-photo. Sur chaque cliché, il posait fièrement à côté d'un gros animal qu'il avait abattu lui-même : rhinocéros, éléphant, hippopotame, crocodile, lion ou panthère. Mama doutait fortement qu'il soit venu à bout tout seul de ces pauvres bêtes.

Célestin lui avait ensuite exhibé tous ses uniformes militaires, alignés sur des mannequins dans une vitrine, et l'alignement de crânes humains qui appartenaient soi-disant à ses ennemis.

- Bientôt, il y aura celui de cette crapule de Prosper. Mais il faut attendre que la peau pourrisse et tombe.

Charmant, songea Mama. Elle avait eu un peu de mal à écouter la fin de cette visite guidée. Au dîner, elle fut ensuite introduite auprès de toute la famille, sa femme et ses sept enfants. Célestin inversa les prénoms des deux petites dernières en les présentant.

- C'est des filles, lâcha-t-il en guise d'explication.

- Qui c'est, ça ? demanda l'épouse, une somptueuse créature du nom de Joséphine, en montrant Mama d'un air méprisant.

- C'est une sorcière, elle va nous débarrasser de tous nos ennemis.

- Une sorcière ? D'où vient-elle ?

- En quoi ça te regarde ? Rentre dans ta tente, maintenant !

Joséphine battit en retraite, suivi de ses sept rejetons.

- Regardez-là, elle se prend pour une princesse. Pour Blanche-Neige ! lâcha Célestin avant d'éclater de rire, immédiatement imité par ses hommes.

Ensuite, il s'était retourné vers Mama et lui avait passé un bras familier autour des épaules.

- Tu vois, mes hommes m'aiment. Mais ils me respectent aussi. Si je dis : obéissez ! Ils obéissent.

Il pointa son doigt vers un soldat debout devant l'entrée de la tente.

- Toi ! Fais le poirier !

- Général, ce n'est pas nécess...commença Mama.

Mais le jeune homme en uniforme avait déjà la tête en bas et les jambes en l'air.

- Quand commencez-vous les poupées ? demanda Célestin en sirotant sa boisson.

Le soldat commençait à fatiguer, mais tenait bon sur ses deux mains. Mama eut de la peine pour lui, et n'osa pas imaginer ce qui allait lui arriver s'il tombait.

- Dès ce soir. Mais je vous l'ai déjà dit, elles ne fonctionneront pas sans...

- Je sais, je sais ! Ce sera réglé vite et...

Il fut interrompu par un bruit de chute : le jeune soldat venait de tomber.

- Imbécile ! Sors avant que je ne coupe ton machin et que je le jette dans le fleuve pour que les poissons le dévorent tout cru !

Le dîner se termina avec un long monologue du général à propos de son allergie aux cacahuètes. Personne ne songea à émettre un commentaire.

Mama regagna sa tente avec un mal de tête épouvantable. Toute la nuit, elle allait devoir lutter contre les moustiques et la moiteur de l'atmosphère qui l'empêchait de bien respirer. Elle n'était plus toute jeune, et sa vie dépendait à présent du bon vouloir d'un général fou furieux. Si je n'exécute pas le rituel de la Lune pour Erzulie, ce sera la fin de tout. Mama s'agenouilla pour prier et serra son gri-gri contre son cœur. Dehors, un bruit de mitraillette retentit, déchirant le silence. C'était le général Kabara qui s'entraînait à tirer sur les petits animaux aux yeux jaunes qui venaient roder aux alentours du camp.

La Villa Gialla : Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant